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que lorfqu'il s'évanouit que le chirurgien parvint à l'arrêter. Ce fpectacle terrible acheva de rendre à Dorival fa connoiffance & fa raifon : fon ame fe trouvant partagée par un double désespoir, reprit une espèce d'équilibre. La perte de fon époufe étoit certaine, celle de fon ami ne l'étoit point encore; & ce dernier rayon de l'efpérance, ce dernier fecours dans les grands malheurs, lui donna la force de les fupporter. Il eut celle d'aider à fon tour le chirurgien à reporter Sainville dans fon lit; & le premier moment où Dorival crut qu'il pouvoit vivre, ce fut lorfque Sainville revint de fa foibleffe & lui tendit. les bras. Calmez-vous tous les deux, leur dit le médecin d'un ton impofant, & leur prenant les mains qu'ils fe ferroient mutuellement; calmez-vous, & fongez que vous vous devez également l'un à l'autre. Le bon médecin les embraffant tour-à-tour, leur ajouta tout ce que la raifon & la fenfibilité peuvent infpirer de plus pathétique & de plus

confolant.

Le calme s'établit enfin, mais il fut accompagné d'un douloureux filence. Les grandes douleurs reffemblent à l'eau

bouillonnante qui s'échappe du vafe par la moindre agitation. Le médecin obferva ce même filence : les portes des appartemens furent exactement fermées, nul bruit finiftre ne put réveiller en eux l'idée de la perte qu'ils venoient de faire. Madame Berrard même n'ofa leur apporter Zélie, jusqu'à ce que fes cris fuffent appaifés, & qu'on eût condamné la porte de la chambre où le fpectacle le plus cruel s'étoit offert à leurs yeux.

La vie de Sainville fut plufieurs jours en danger; il fallut toute l'habileté des deux favans hommes qui le fecouroient pour faire refermer une feconde fois cette dangereufe bleffure ; & le chirurgien n'eut garde de cacher à Sainville que le moindre ébranlement pouvoit caufer un pareil accident, contre lequel fon art n'auroit plus aucunes reffources.

La terreur que l'état préfent de Sainville imprimoit à fon malheureux ami, contrebalançant dans fon ame l'idée défefpérante de fa perte, lui fut utile; elle le ramena par degré à cette douleur profonde, mais tranquille, fi difficile à définir, puifque l'ame qu'elle

pénètre aime à s'en occuper, paroît en jouir, & ne pouvoir fe réfoudre à la perdre.

Le médecin, à la fin du premier mois, voyant que la bleffure commençoit à fe confolider, & que fes fecours n'étoient plus néceffaires, leur demanda la permiffion de retourner à Paris. Ce ne fut qu'avec bien du regret qu'ils s'en féparèrent le chirurgien lui jura de lui donner de deux en deux jours des nouvelles de l'état de Sainville, auquel le médecin promit auffi de mander toutes les nouvelles qui pourroient l'intéreffer.

Lorfque Sainville eut repris quelques forces, Dorival qui ne le quittoit pas d'un moment, le chirurgien, homme inftruit & d'une humeur agréable, & madame Berrard, formèrent dans fa chambre une petite fociété, à laquelle le bon & honnête concierge Cléante étoit fouvent admis. Ils s'étoient promis mu→ tuellement d'éloigner de leurs converfations tout ce qui pourroit leur rappeler l'objet de leurs regrets; mais fouvent ils y donnoient encore bien des larmes. Si la petite Zélie (qui dès l'âge de trois ans annonçoit une intelligence étonnante) faifoit leurs délices par fes

graces naïves, fes jeux & fes careffes, fouvent le nom de maman échappoit de fa bouche; à ce mot, Dorival levoit les yeux au ciel, & tomboit dans une fombre rêverie; Sainville faifoit un figne expreffif à Zélie pour la faire taire; elle couroit auffitôt pour l'embraffer, & ce n'étoit jamais fans qu'ils pleuraffent l'un & l'autre.

Quelques jours après l'arrivée du médecin à Paris, ils commencèrent à recevoir de fa main les nouvelles courantes. L'histoire du jour, qui n'attire qu'un moment d'attention à Paris, devient bien plus intéreffante à la campagne chacun fe plaît à en raifonner, felon fon caractère & fon humeur; & toute variété d'opinions qui n'excite point de difpute, porte toujours de la vivacité dans une fociété bien unie. Un mois s'étoit prefque écoulé depuis fon départ, lorfque Sainville reçut une lettre d'Arifte, dans laquelle il lui mandoit que le ministre venoit d'accorder la jeune Clarice à l'un des plus vieux feigneurs de la cour, qui, laffé de n'avoir plus de maifon ouverte depuis la mort de fa femme, l'avoit demandée comme une perfonne aimable

& fpirituelle qui pouvoit embellir fes vieux jours, & faire les honneurs de chez lui. Sainville & le refte de la petite fociété témoignèrent leur furprise que la jeune & charmante Clarice, dont on connoiffoit le pouvoir fur fon père, eût pu fe réfoudre à recevoir la main de ce vieil époux. Arifte cependant n'en paroiffoit point étonné dans fa lettre. Seroit-il donc poffible, dit Sainville, que cet indigne Valcourt eût dit une vérité dans fa vie? Je fuis bien tenté de croire qu'il nous a fait un portrait affez fidèle du caractère & de l'humeur de fa coufine. Il nous l'a peinte vive, fpirituell , coquette, & connoiffant déja les moyens de féduire fon père & ceux dont elle dépend. Que peut - elle donc faire de mieux pour refter maîtreffe de ses volontés, & mener le genre de vie qui lui conviendra, que d'époufer le bon homme Cléon, éprouvé déja par la foumiffion entière qu'il avoit pour les fantaifies affez nombreuses de fa première femme? Ah! monfieur, dit le chirurgien en riant, je vous y prends, & pour la première fois de votre vie vous vous êtes permis de médire. Ma foi, répondit Sainville en riant auffi, je crois

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