Imágenes de páginas
PDF
EPUB

que ce n'eft pas abfolument médire, que de ne faire que répéter les hiftoires publiques. Il eft dans la fociété vingt femmes qui me remercieroient, fi je parlois d'elles comme de celle de Cléon, & qui me fauroient gré de leur accorder affez d'efprit & de fupériorité pour subjuguer leurs maris. Au refte, je me réjouis de toute mon ame du mariage de Clarice: il me reftoit toujours quelque inquiétude au fujet des propos qui s'étoient tenus, & j'aime beaucoup mieux qu'elle foit la femme de Cléon que la mienne. D'ailleurs, ajouta-t-il, je prévois toutes fortes de bonheur pour Clarice. Cléon eft bien vieux; tant qu'il vivra, Clarice jouira d'une grande confidération : elle aura la plus grande maison à la cour & à la ville; elle y recevra la meilleure & la plus nombreuse compagnie. Si Clarice, belle comme elle eft, eft en effet un peu coquette, eh bien, elle fera fans ceffe entourée d'adorateurs ; & fi quelqu'un d'entre eux réuffit à la toucher, il lui fera bien facile, avec un peu d'adresse, de le confondre dans la foule, & de le dérober aux regards qui pourroient l'inquiéter. D'ailleurs, Cléon mort, Cla

rice reftera jeune & charmante avec un bien iminenfe; & fa liberté, la parfaite connoiffance qu'elle viendra d'acquérir du monde, & du caractère de ceux qui l'auront aimée, l'éclairera fur le choix d'un époux aimable; ou fi fon ame ne veut pas fe donner toute entière, fon état fera toujours brillant, &, felon moi, fon fort n'en fera que plus doux. Oui, mes amis, ajouta-t-il avec feu, je pense qu'on doit toujours agir felon le systême de conduite qu'on s'eft formé, & je trouve que Clarice a fait un grand acte de prudence & de raison, puifque, fi jeune encore, je parierois qu'elle s'eft` conduite d'après ce que je préfume de fa façon de penfer.

Oh! oh! monfieur, dit madame Berrard, vous me paroiffez être bien inftruit, pour un philofophe, du manège que peut employer une coquette d'un certain ton. N'en foyez point furpris, répondit-il ; j'avoue que j'ai craint mon union avec Clarice : cela m'a fait approprofondir ce que peut être le caractère d'une coquette. L'intérêt personnel nous rend clairvoyant, prefque autant que l'amour nous aveugle; & je crois ne

m'être pas trop écarté du vrai dans tout ce que je viens de dire.

On fut forcé d'avouer que Sainville avoit raison. Quelques jours après, il reçut une lettre du marquis de Villers, qui lui confirmoit la nouvelle du ma riage de Clarice, & que le roi devoit figner fon contrat la femaine fuivante. I le prioit auffi dans la même lettre, de partir pour Paris, annonçant qu'un notaire, dépofitaire de tous les papiers d'Arifte, venoit de mourir; que celui-ci n'entendant rien aux affaires, on avoit befoin de fa préfence; ou que fifa fanté ne le lui permettoit pas, il envoyât un homme habile pour affister à la levée du fcellé, & retirer les papiers de famille. Quoique plus de deux mois fe fuffent écoulés depuis que la blessure de Sainville s'étoit rouverte, & que le chirurgien lui permît déja de fe promener dans le parc, & même en voiture, il n'étoit pas encore en état de hasarder ce voyage.

Il favoit que, quoique Dorival n'aimât pas la profeffion qu'il avoit embraffée, il avoit travaillé par honneur à prendre la plus grande intelligence des affaires, & à fe préparer à l'exercice de

la charge à laquelle il étoit deftiné. Il faifit cette occafion de le diftraire un peu d'un chagrin fombre qu'il ne pouvoit diffiper, & de l'éloigner pendant quelque temps d'un lieu qui lui rappeloit à tout moment fa perte. Il pria Dorival de fe charger des affaires de fon oncle, de retirer fes papiers, de les mettre en ordre, & de vouloir bien accepter fa procuration.

Dorival n'avoit rien à refufer à fon ancien ami; & fachant qu'il laiffoit Zélie en de bonnes mains, & la vie de Sainville en fûreté, il n'héfita point à partir en pofte pour Paris. En peu de jours il eut terminé tout ce qu'Arifte pouvoit efpérer de fes connoiffances en affaires & de fon amitié, ce qui le mit en liberté de fuivre le mouvement de fon cœur, & de reprendre le chemin de fa

terre.

Pendant ce temps, le contrat de mariage de Clarice avoit été figné ; la famille affemblée avoit pris jour pour la célébration des noces ; & le miniftre, follicité par quelques parens, n'avoit pas voulu faire le tort à Valcourt de l'empêcher de fe trouver aux noces de sa coufine. Il venoit d'envoyer fon rap

pel; & fur le champ celui-ci s'étoit mis en route pour arriver à temps.

Nous favons déja que la terre que Valcourt habitoit, étoit fituée dans la même province que celle de Dorival. Les deux chemins qui conduifoient à l'une & l'autre terre, fe croifoient & fe joignoient dans un village à deux lieues de Paris. Le hafard fit que Valcourt, parti dans fa chaife de pofte, arriva dans ce village vers la fin du jour, dans le même temps que Dorival arrivoit de Paris à la première pofte, à franc-étrier, comptant profiter du clair de lune pour arriver dans la nuit à fon habitation. Les poftillons étoient abfens, & le maître de poste attendoit fes chevaux que de loin on voyoit arriver fur la chauffée. Valcourt étoit defcendu de fa chaife; & Dorival ayant mis pied à terre fe prome. noit en bottes fortes vis-à-vis de l'écurie. Quelle nouvelle dit-on à Paris, mon ami? dit Valcourt d'un air avantageux à Dorival qu'il prenoit pour un homme du commun, (l'un & l'autre ne fe connoiffant.pas.) Dorival, choqué de la queftion, du ton & de l'air de Valcourt, On y dit toujours des bali

« AnteriorContinuar »