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pour Zélie, en lui préfentant la bourse de cinq cents louis qu'il avoit été prendre dans fon cabinet; le refte va me fervir à chercher la mort au bout de l'univers. Sainville embraffa ce père défefpéré, dont les forces étoient prefque épuisées; ils parvinrent enfin à le faire affeoir, à le calmer un moment, & à tirer de lui les détails de fa funefte aventure. Toutes les circonftances parurent tellement aggravantes, qu'il jugea qu'en effet le feul parti qu'il eût à dre, c'étoit de quitter la France & fon nom, & de paffer dans les pays étrangers. Sainville courut chercher une caffette pleine d'or Garde le tien, ô mon ami, dit-il à Dorival; prends de celui-ci tout ce qu'il t'eft poffible d'en emporter. Ah! fois tranquille fur le fort de notre Zélie; ne l'ai-je pas adoptée ? ne connois-je pas tes intentions pour l'élever ? crains-tu que je në manque à la foi que je t'ai jurée ? A ces mots, Sainville ordonne qu'on felle le plus vîte & le meilleur de fes chevaux qu'il avoit fait venir depuis quelques jours: Fuis, mon ami, lui dit-il en le ferrant entre fes bras; fuis, hélas ! loin de moi, loin de tout ce qui t'eft

cher; épargne-nous l'horreur de te voir arrêter, & de ne pouvoir te fauver la vie en donnant la nôtre pour toi; profite du refte de la nuit pour t'éloigner; fuis la vengeance d'un ministre qui pourroit te pourfuivre dans toutes les cours de l'Europe; gagne les bords de la mer, & mets l'océan entre ceux qui vont te pourfuivre, & la tête du père de Zélie & de l'ami de Sainville. A ces mots, ne voulant s'en rapporter qu'à lui-même, Sainville conduit en gémiffant fon ami dans la cour du château, lui fait embraffer une dernière fois fa Zélie, lui ferre la main, lui jure de l'aimer de le fervir toujours, & le force à s'éloigner.

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Dorival, monté fur un cheval barbe auffi vigoureux qu'il étoit léger, fit une diligence incroyable pendant le refte de la nuit; le jour il fuivit des chemins détournés, & ne s'arrêtant qu'en des métairies écartées, il traverfa la Bretagne, & le fixième jour il arriva vers le foir au port de l'Orient. Il s'informa des bâtimens prêts à partir pour les Indes orientales; on lui dit qu'un capitaine, dont le nom le frappa, avoit déja fon navire en rade; que fa defti

nation étoit pour la côte de Coromandel; que ce capitaine étoit encore à terre pour achever la cargaison de fon vaiffeau; que, dès qu'elle feroit finie, il s'embarqueroit & mettroit à la voile. Il fe fit enfeigner fa demeure, & fut le

trouver.

Dorival fut bien agréablement furpris, en abordant ce capitaine, de le reconnoître pour un galant homme dont il avoit été le rapporteur dans le temps où fon père vivoit encore, & lui faifoit exercer la charge de Confeiller au Parlement. Ce capitaine avoit gagné, d'après fes conclufions, un procès très-confidérable; & touché de la plus vive reconnoiffance, il avoit affuré Dorival qu'il conferveroit un éternel attachement pour lui. Ce capitaine eut d'abord beaucoup de peine à le reconnoître fous un pareil habillement; mais, après s'être remis fes traits & le fon de fa voix, Ah! lui dit-il, difpofez de mon bien & de mon vaiffeau; eft-il rien que je ne vouluffe faire pour vous? Dorival fentit qu'il ne couroit aucun risque à fe confier à ce galant homme. Grands dieux ! dit-il, quel péril ne courez-vous pas! Les miniftres fe communiquent

prefque toujours, en pareille occafion, les ordres qu'ils envoient; & d'un moment à l'autre on peut recevoir de celui de la marine votre fignalement & l'ordre de vous arrêter. Vous n'avez été vu que le foir & d'un petit nombre de perfonnes, je vais vous envoyer dans ma chaloupe coucher fur mon bord; établiffez-vous dans ma chambre dont voici la clef, & je vais hâter mon départ pour vous rejoindre dans vingtquatre heures. Dorival fuivit fon confeil; & dès le foir du lendemain un vent favorable s'étant levé, le capitaine revint à bord de fon vaiffeau fit mettre à la voile & partit.

Pendant ce temps, tout ce que Dorival avoit prévu pour venger la mort de Valcourt, étoit arrivé; fon corps avoit été porté par fes gens à l'hôtel du miniftre même; & les témoins de la querelle & du combat l'avoient suivi, pour dépofer unanimement contre Dorival.

Peut-être le miniftre en fecret n'étoit-il pas trop fâché d'être défait d'un auffi mauvais fujet que Valcourt; mais il crut devoir à fa famille comme aux lois du royaume, de laiffer rendre

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plainte contre Dorival; &, quoique fon nom & fa perfonne fuffent encore en confidération dans le Parlement, les charges étoient fi fortes qu'il fut décrété de prife de corps; & l'on envoya plufieurs brigades de maréchauffée à fa poursuite.

Le lieutenant qui la commandoit, fuivant de pofte en pofte le chemin que Dorival avoit tenu dans fa fuite, arriva fans peine dans fon château, le lendemain du jour qu'il en étoit parti. Le bon homme Cléante, auquel ce lieutenant s'adreffa d'abord, lui répon dit naïvement qu'il ignoroit quelle efpèce d'affaire étoit arrivée à fon maî tre; qu'il l'avoit vu, trente-fix heures auparavant, arriver en pofte, donner ordre qu'on fellât un de fes chevaux; qu'il étoit monté dans fon cabinet pour prendre de l'argent, étoit reparti fur ce cheval frais, difant qu'il alloit paffer le Rhin; & que depuis ce temps il n'en avoit pas entendu parler. Après avoir rendu ce compte, le bon concierge fe mit à pleurer..

Le lieutenant, voulant remplir les devoirs de fa charge, avoit commencé par faire entourer le château, pour y

faire

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