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à fuivre le fyftême d'éducation que Dorival avoit formé pour elle; & refpectant la volonté d'un père, & la parole qu'il avoit donnée à fon ami, il pritavec madame Berrard des mefures pour fe conformer à ce systême.

Dès ce moment madame Berrard éloigna d'elle le peu d'enfans de fon âge qu'elle avoit vus jufqu'alors; on agrandit l'appartement qu'elle occupoit de quelques pièces; il n'en fut aucune qui ne renfermât tout ce qui pouvoit lui faire acquérir quelques talens nouveaux, quelques connoiffances utiles. Mais rien n'étoit préfenté fous fes yeux comme une occupation qu'on voulût lui propofer; ce n'étoit encore qu'un objet de curiofité pour elle, ce n'étoit qu'un nouvel amusement qu'on plaçoit fous fa main. On fit un petit retranchement dans le parc, pour former un jardin affez fpacieux, que l'on entoura de murs très élevés; il fut diftribué par l'art, de façon que tout pût lui faire naître des idées nouvelles fur la culture agréable ou utile; de belles fleurs furent entremêlées avec des plantes falutaires; les arbuftes fleuris le furent avec des arbres fruitiers;

cette partie fut décorée par une petite cascade qui tomboit d'un tertre, & par quelques gerbes jailliffantes qui s'élevoient d'une touffe de roseaux ; une fontaine qui fortoit d'une roche, couloit dans des goulotes qui portoient la nourriture & la fraîcheur dans les carreaux d'un petit potager.

Parmi les effais que Zélie s'amufoit à faire de tout ce qui fe trouvoit fous fa main, rien ne la furprit autant que les premiers fons qu'elle tira d'un claveffin. Elle courut à Sainville, qu'elle appeloit tantôt fon papa, d'autres fois fon ami, pour lui faire part de cette grande découverte. Sainville qui touchoit fupérieurement cet inftrument, l'étonna bien davantage lorfqu'il joua tous les airs qu'elle avoit appris de fa bonne, & les lui fit paroître bien plus agréables par l'accompagnement qu'il y joignoit. Un autre jour qu'elle s'amusoit å faire des lignes fur un papier, avec un crayon, Sainville prit ce crayon, & fit le deffin agréable d'une jeune enfant dans la même attitude où Zélie étoit alors elle fut encore bien plus étonnée de ce nouveau prodige. Ce fut ainfi qu'il s'y prit pour lui donner

de nouvelles idées, & que, fans exciter fon imagination, il attendit toujours fes queftions, pour agrandir & pour éclairer fes premières notions. C'eft d'après l'exemple que madame Berrard reçut de Sainville, qu'elle fuivit fa méthode avec autant d'intelligence que de zèle & de douceur, dans toutes les occafions où Zélie frappée d'un objet nouveau lui montroit le defir de le connoître. C'eft ainfi que l'un & l'autre réuffirent à profiter des premières fenfations de Zélie, pour lui faire naître des idées claires & pofitives de tout ce qui la frappoit, & qu'ils rendirent les progrès de fon intelligence auffi rapides que faciles.

Sainville fut fi fatisfait de voir la réuffite des premiers moyens qu'il avoit employés, qu'il s'oublia plus d'un mois dans fon château, toujours occupé des mêmes foins. Dès ce premier voyage il fe fentit le cœur ferré lorsqu'il quitta la petite Zélie, & qu'il vit les larmes amères qu'elle répandoit à fon départ.. Il lui promit de n'être pas plus de fix mois fans la voir. J'efpère, lui dit-il, ma chère enfant, que lorfque je reviendrai vous m'étonnerez par les accords que vous tirerez de ce claveffin,

& par votre adreffe à tracer les contours de tous les objets que vous voudrez fixer fur ce papier. Sainville, de retour dans la capitale, continua d'aller fouvent à Verfailles, où le miniftre, père de Clarice, lui procura tous les agrémens dont fa naiffance le rendoit fufceptible à fon âge; & le plus grand de tous (pour un François) ce fut la bienveillance de fon maître, auquel le miniftre avoit parlé de lui comme d'un homme fait pour parvenir un jour aux premiers honneurs de fon état.

Sainville ne retrouva point Clarice à Verfailles; elle n'y venoit plus paffer que vingt-quatre heures, pour paroître à la toilette, & voir fon père. La fanté du vieux Cléon étoit devenue fi chancelante, qu'il avoit été forcé de quitter la cour & de fe retirer dans le magnifique hôtel qu'il avoit à Paris. Quoique Cléon y fût rarement en état de voir du monde, fa maison n'en étoit pas moins brillante; le plus gros jeu, la meilleure chère, des bals, des concerts, attiroient près de Clarice la fociété la plus nombreuse; elle eût été peut-être auffi la mieux choifie, fi les charmes de Clarice, & le plaifir de plaire,

qu'elle avoit peine à diffimuler, n'euffent pas rendu fa maison le rendez-vous de la jeuneffe la plus folle & la plus légère de la ville & de la cour. Sainville, comme parent de Clarice, & par toutes fortes de raifons, ne put fe difpenfer de l'aller voir fouvent & de fe trouver dans cette fociété trop tumultueuse pour lui. Rien n'eft plus embarraffant pour un jeune homme auffi fenfé que l'étoit Sainville, que de fe trouver confondu dans une foule de gens de fon âge, qui n'avoient encore acquis ni fon maintien ni fes principes. Il fentoit le ridicule d'afficher une trop grande réserve, qu'ils euffent taxée de pédantifme. Il lui paroiffoit abfurde de les imiter, & de fe prêter à leur ton perfiffleur ou maniéré. L'aîné des Villers lui parut être un des plus fenfés de tous, & conferva pour lui la confidération qu'un jeune capitaine doit à fon colonel. Pour le chevalier, fon début fut de lui fauter au cou: Oh! parbleu, mon cher Sainville, lui dit-il, j'ai bien envie de te faire payer ici toutes les leçons dont m'affommoit à Metz mon grave colonel; je te respecterai toujours quand nous ferons fous

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