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il fe rappeloit le moment où Villers baigné de larmes arrêtoit fon fang; il lui connoiffoit d'ailleurs mille bonnes qualités. Il a toutes les effentielles, fe difoit-il; l'âge & de meilleurs confeils pourront en faire un homme plus folide. Cléon fe meurt; Clarice va devenir maîtreffe de fon fort & d'une fortune immense. Elle aime Villers: ah! n'ayons pas le zèle imprudent de travailler à féparer pour toujours deux perfonnes qui me font chères, & qui peuvent un jour faire mutuellement leur bonheur.

C'eft d'après ces réflexions que Sainville fe conduifit avec Villers & fa coufine, pendant les fix mois qui précédèrent le temps de rejoindre fon régiment. Il gagna peu fur l'air & le ton léger de celui-ci; mais il lui fut bien facile de détruire en fa coufine un défaut qui ne tenoit point à fon caractère; il eft vrai qu'il y fut aidé par l'amour.

Clarice, pleine de confiance pour Sainville, n'avoit point éprouvé la douleur de lui voir combattre fes fentimens pour Villers. Les confeils fenfés de fon ami ne s'étoient portés que fur la conduite qu'elle devoit obferver avec lui. Soyez plus réservée avec Villers, lui difoit-il;

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ayez moins l'air de vous occuper de fes petites gentilleffes, & de vous amufer de fes propos légers. Mais auffi, mon aimable coufine, prenez le même ton avec tous ceux qui vous entourent : n'humiliez point Villers en paroiffant les écouter avec plaifir; accoutumez par degrés votre fociété bruyante à pren dre un ton plus férieux, & vous forcerez bientôt Villers à s'y conformer.

Clarice fentit toute l'importance & la vérité du confeil de Sainville. Nous recevons toujours bien celui qui ne combat pas la paffion qui nous eft chère, & qui peut lui devenir utile. Sa conduite y fut conforme; & les folles efpérances de Villers furent presque anéanties, fans que fon amour-propre pût en être bleffé. Parbleu, se dit-il, voilà tous nos agréables bien déroutés : comment aurions-nous pu craindre que la nouvelle folie de Clarice fût de devenir une femme raifonnable?

Quoique Zélie ne fût encore qu'une enfant, Sainville fentoit un fecret plaifir à tenir la parole qu'il avoit donnée de l'aller voir. Il fut paffer quinze jours avec elle en allant rejoindre fon régiment i la trouva plus jolie, plus

aimable encore qu'il ne l'avoit quittée. Déja fes crayons, fon claveffin ne fuffifoient plus à fes occupations. Un globe qu'elle avoit d'abord féparé de ses cercles pour en faire une boule, avoit été remis avec adreffe dans fa pofition par fes mains: elle demanda l'usage qu'on en pouvoit faire à Sainville, & ce fut une connoiffance de plus qu'il eut le plaifir de lui donner. Lorfqu'après avoir fervi fes quatre mois il retourna près d'elle, il la trouva très-occupée à chercher dans un grand livre de cartes les mêmes figures qu'elle voyoit en petit fur un autre globe qu'elle avoit d'abord traité comme le premier; & Sainville vit avec furprife avec quelle facilité Zélie faififfoit la relation que ces deux globes & les cartes avoient ensemble.

C'eft ainfi que pendant deux ans encore, Sainville eut la fatisfaction de voir fa charmante élève acquérir une connoiffance nouvelle ou quelque talent agréable, pendant les deux voyages qu'il faifoit à fon château deux fois l'an, & toujours avec un nouveau plaifr. Il eut auffi celui de trouver Clarice telle qu'il la defiroit, & la plus aimable & la meilleure des amies. Cléon

dans la caducité touchoit à fa fin, & recevoit de la belle & jeune Clarice toutes les confolations dont il pouvoit encore fentir les charmes. Une fociété prefque toute nouvelle & bien choisie, avoit remplacé la foule des gens oififs de la cour, & la jeuneffe turbulente que Zélie avoit écartée de chez elle par le maintien & le ton qu'elle avoit pris. Elle jouiffoit du bonheur fecret de voir que Villers aimoit mieux s'y conformer que de ceffer de la voir; & quoiqu'il fît fouvent des abfences qu'elle n'avoit jamais l'air avec lui d'avoir remarquées, il revenoit toujours auprès d'elle avec un plaifir, un refpect & des fentimens qu'elle lifoit dans fes yeux, & qui faifoient une bien douce impreffion dans fon ame.

Les voyages & les féjours de Sainville dans fon château, qui devenoient d'année en année plus longs, & les plus heureux temps de fa vie, furent interrompus par une nouvelle guerre. C'est peut-être un bien; il eft même peut-être néceffaire pour une nation. belliqueufe, telle que la Françoife, d'avoir quelquefois la guerre pour entretenir fon efprit militaire

& pour

occuper

occuper une nobleffe nombreuse & brillante, qui n'a prefque qu'un unique moyen de fe diftinguer. Il femble que le ciel ait placé près d'elle, à ce deffein, les voifins les plus braves, les plus éclairés, mais auffi les plus avides, les plus injuftes, & qui font trop orgueilleux pour ne pas révolter une nation noble & fière, qui ne craint que le blâme & le déshonneur. Sainville & le marquis de Villers reçurent des ordres pour se rendre promptement à leur deftination. Cette guerre, que d'abord on crut n'être qu'un feu paffager, parce qu'il étoit aifé de voir qu'elle ne pouvoit embrâfer toute l'Europe, fut cependant d'une longue durée ; & quoiqu'elle fe fût portée principalement fur mer, elle tint pendant tout ce temps fous les armes les troupes de terre, qui, poftées fur nos côtes, fournisfoient de nombreux détachemens destinés à combattre fur nos vaiffeaux, & fouvent même à faire des defcentes fur les côtes ennemies. Sainville fut affez heureux pour trouver encore à fe diftinguer fous les ordres du marquis de Villers, qui l'avoit demandé dans fa divifion; ce général eut le bonheur de Tome IV. K

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