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trouver dans les deux Villers des enfans dignes de lui.

Après quatre ans de guerre, la paix établit la liberté fur la mer dans le fein d'une nouvelle nation, & rendit un plein calme à l'Europe. Le marquis de Villers fut élevé au grade de lieutenant général, & Sainville à celui de maréchal de camp: les deux jeunes Villers furent auffi traités comme ils l'avoient mérité par leur valeur; l'aîné fut nommé colonel du régiment que commandoit Sainville, & le cadet colonel en fecond du même corps.

Pendant ce temps, le vieux Cléon avoit fini fa longue carrière; fes dernières volontés avoient rendu Clarice la plus riche veuve qui fût à la cour. Les plus grands feigneurs & plufieurs gens titrés formoient des intrigues pour obtenir fa main. Quelques-uns de fes anciens adorateurs étoient revenus reprendre fes chaînes, avec la folle espérance de lui faire tourner la tête. Il n'étoit plus temps: Clarice avoit trop de jufteffe dans l'efprit, pour ne pas connoître tout le prix des confeils de Sainville, & pour ne s'être pas reproché les travers paffagers des deux premières

années de fon mariage; mais il faut convenir que ce qui la défendoit le mieux de ces nouvelles féductions étoit ce fentiment intérieur & profond qu'elle confervoit toujours pour le chevalier de Villers. Si celui-ci cependant eût alors employé pour lui plaire les mêmes moyens dont il avoit éprouvé le fuccès, Clarice peut-être en eût été bleffée, & ne l'eût pas écouté; mais, plus formé par les campagnes qu'il ve-. noit de faire, & commençant à jouir de l'approbation des gens fenfés & éclairés, Villers, en revoyant Clarice, n'eut. l'air que d'un homme fidèle à fes pre-, miers fentimens, & parut bien éloigné de celui que donne l'efpérance d'être aimé.

Avec quelle fineffe, quelle fecrette fatisfaction ne lit-on pas dans les yeux de ce qu'on aime, le fentiment qu'on lui defire! Clarice fut fi touchée de la modeftie, du refpect, de la timidité même avec laquelle Villers avoit reparu devant elle, que, bien qu'elle eût confervé l'air de fang-froid en lui parlant de la réputation qu'il venoit d'acquérir, elle fut vivement touchée, & ne put s'empêcher de l'avouer à Sain

ville dans la première conversation qu'ils, eurent enfemble. Le chevalier de Villers, lui dit-il, eft digne de vous par fa naiffance & par fa conduite à la guerre ; mais, quoique perfonne ne defire plus que moi que vous faffiez fa fortune & fon bonheur, je vous confeille de profiter du temps de votre deuil pour éprouver encore fi fon cœur, que vous méritez fi bien, peut être entièrement à vous.

Celui de Sainville étoit alors bien occupé de fa jeune élève. Plufieurs lettres, où cette enfant exprimoit avec autant d'ingénuité que de graces la tendreffe qu'elle avoit pour lui, le vif empreffement qu'elle lui marquoit de le revoir, ne lui permirent pas de veiller plus long-temps fur l'amour de Clarice & du chevalier de Villers. Un intérêt plus vif, une occupation plus douce l'appeloient auprès de Zélie; & ne donnant que trois ou quatre jours à la cour, à fon oncle, & même à fes affaires, il partit pour fon château.

Une lettre que le marquis de Sainville avoit reçue de madame Berrard, le même jour qu'il étoit arrivé de l'armée, l'avoit jeté dans le plus grand

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embarras. Elle lui mandoit que pendant fon abfence l'efprit de Zélie s'étoit développé fi rapidement, & que les cartes hiftoriques qu'elle avoit lues lui donnoient une fi haute idée de la lecture, & des connoiffances qu'elle devoit faire acquérir, que Zélie lui demandoit avec ardeur de nouvelles cartes, & fe plaignoit fans ceffe qu'on bornât fon inftruction à la géographie. Déja Sainville fe faifoit un fcrupule de tromper Zélie; il fentoit bien d'ailleurs qu'il étoit impoffible de lui cacher plus long-temps qu'il exiftoit des écrits dans lefquels les hommes avoient tranfmis les grands événemens & les lois de cette multitude de nations, dont quelques cartes lui donnoient les premières notions; il regardoit comme une injuftice de priver Zélie des fecours que fon efprit actif defiroit avec ardeur. Mais, difoit Sainville en lui-même, le fyftême d'éducation que Dorival m'a fait adopter pour Zélie ne pourra fe foutenir, fi je mets des livres dans fes mains: en exifte-t-il un feul qui ne puiffe lui donner l'idée de cette paffion dangereufe, qui troubleroit peut-être une imagination vive, & qui combine

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déja fi facilement les relations que plufieurs idées différentes peuvent avoir enfemble? Sainville conclut de cette réflexion, qu'aucun livre, même de ceux · qui font les plus refpectables, ne pouvoit être lu, tel qu'il eft écrit ; par une jeune perfonne qu'on vouloit laiffer dans une ignorance abfolue de tout ce qui peut avoir trait avec l'amour. Son zèle pour fuivre les intentions de Dorival, & pour écarter toutes les idées qu'il craignoit que la lecture ne fît naître dans l'efprit de fon élève, lui fit prendre le parti de ne lui donner aucun des livres qu'on laiffe fans inquiétude entre les mains de celles de fon âge mais d'en faire des extraits. affez étendus pour fatisfaire fa curiofité, l'inftruire, & lui faire croire que les feuls grands refforts qui peuvent mouvoir le cœur humain, font l'efpérance, l'intérêt & l'ambition. Il ne fe cacha pas à quel point un pareil travail feroit long & pénible. Quel temps, quel ennui ne m'en coûtera-t-il pas, fe difoit-il, pour remplir ce que j'ai promis à Dorival!

Sainville avoit été quatre ans fans voir Zélie; elle en avoit douze alors; il ignoroit encore tout ce qui devoit

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