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adoucir, embellir même le travail qu'il s'impofoit lui-même.

Le plaifir le plus pur remplit le cœur de Sainville, en découvrant fon château du haut d'une colline. Je vais donc revoir, fe difoit-il, cette chère & malheureuse élève, à qui je dois des foins encore plus attentifs & plus tendres qu'à l'enfant que la nature m'auroit donné, puifque ce font l'eftime, la confiance & l'amitié qui l'ont remife entre mes bras.

Le bon homme Cléante fut le premier qui courut au devant de lui. Ah! Monfieur, dir ce ferviteur attaché, que je fuis aife de vous revoir dans cette bonne fanté! Dieu merci, les fatigues de la guerre ne prennent point fur vous; vous avez, parbleu, plutôt l'air d'un jeune capitaine que d'un maréchal de camp. Comment fe porte Zélie, mon cher Cléante, lui dit Sainville? A merveille, répondit-il, & madame Berrard auffi; je vais vîte courir au tour pour leur annoncer votre arrivée, car l'appartement de Zélie eft affez éloigné; nulle de fes fenêtres ne donne fur la cour; elles peuvent bien encore ignorer votre arrivée. Que voulez-vous dire

dit

que vous

Sainville avec quelque surprise? qu'eft-ce donc que ce tour où vous dites allez courir? Ma foi, Monfieur, j'ignore moi-même quelle nouvelle fantaisie à pris, il y a déja prefque quatre ans, à madame Berrard; mais pour empêcher, dit-elle, que mademoiselle Zélie ne foit interrompue dans fes nombreuses occupations, elle m'a fait établir un grand vilain tour, qui me deplaît beaucoup; car il me fépare d'une chère enfant que j'ai vue naître, & même je n'entends plus fa voix que lorfque madame Berrard nous donne fes ordres, & qu'elle eft sûre que je me préfente feul pour les recevoir. Vous me furprenez, mon cher Cléante, dit Sainville; mais je connois la prudence de madame Berrard; il faut qu'elle ait de bonnes raifons, dont je ferai bientôt inftruit. Allez leur annoncer mon retour, & vous entrerez avec moi chez ma pupille; vous méritez bien cette diftinction parmi les autres gens de la maison.

Peu de momens après, les portes de l'appartement de Zélie s'ouvrirent; elle accourut au devant de Sainville; & fe jetant entre fes bras, de groffes larmes baignèrent fes joues de rofe. Quel mo

ment pour Sainville, & que ce moment fut décifif!... Il refte immobile; un frémiffement intérieur agite tous fes fens; il fe débarraffe avec une espèce d'effort, des bras de Zélie. Que vous êtes grandie, lui dit-il à la fin ! à peine pourrois-je vous reconnoître, fi vos traits, & ce que je reffens pour vous, ne m'affuroient que c'eft ma chère Zélie que je revois. Zélie enchantée prend fa main, l'entraîne au fond de fon appartement; elle lui fait parcourir tous fes cabinets; elle lui montre avec vivacité fes inftrumens, fes globes fes crayons, fes métiers. Voyez, mon papa, mon cher ami , voyez combien je fuis heureufe, lui difoitelle, en lui montrant tout ce quelle appeloit fes richeffes; voyez tout ce que vous m'avez donné. Oui, car ma dame Berrard m'a bien dit que tout · ce que j'ai me vient de votre main; auffi tout cela m'eft-il bien cher; auffi j'aime bien à m'en occuper, & j'espère que vous voudrez bien voir l'ufage que j'en fais faire. Sans doute, ma chère, Zélie, lui dit Sainville. Appelez moi donc votre enfant, votre amie, mon cher papa, lui dit-elle. Ah! que ces

noms me font chers, qu'ils me fort doux, quand je les entends de votre bouche! Mais, mon Dieu, qu'avezvous donc, mon ami? je vous trouve un air férieux; vos regards font toujours bien tendres.... Mais vous avez prefque les larmes aux yeux. Ah! feriez-vous mécontent de moi ? ne reverriez-vous plus votre enfant avec le même plaifir qu'autrefois ? A ces mots, elle regardoit fixément Sainville; fa main trembloit dans la fienne. Sainville ne fit qu'un léger mouvement pour lui tendre fon autre bras, & Zélie pour la feconde fois fe précipita dans fon fein. Sainville eut encore plus de peine que dans le premier moment à fe dérober aux innocentes careffes de Zélie; & pour les interrompre, il adreffa la parole à madame Berrard. Que ne vous dois-je pas, lui dit-il,

&

que les foins que vous avez pris de ma pupille, me paroiffent avoir bien reuffi!... Ah! monfieur, dit l'honnête gouvernante, n'en fuis-je donc pas trop payée? & notre enfant n'a-t-elle pas furpaffé toutes mes espérances? Vous devez être content de fa bonne fanté, de fa figure, de fon maintien; màis

vraiment vous allez être bien furpris, lorfque vous verrez qu'il n'eft aucun talent qu'on puiffe acquérir avec tout ce qu'elle vous a montré dans fes cabinets qu'elle ne porte déja prefque jufqu'à la perfection.

Il eft de la vraie candeur d'écouter toujours avec plaifir une louange méri→ tée. A ces derniers mots de madame Berrard, Zélie fit un faut de joie, & courut vers un petit cabinet qu'elle n'avoit point encore ouvert; & riant alors de ce ris charmant & gai qui rappelle celui de l'enfance, elle s'enferma bien vîte dans ce cabinet.

Le motif du grand fecret que Zélie cachoit en ce moment à fon ami, c'étoit le plaifir de le furprendre par les fons d'une harpe que Sainville n'avoit point envoyée, & que les foins attentifs de madame Berrard avoient portée à faire venir pour elle.

Sainville reconnoiffant les fons de cette harpe, & s'appercevant que Zélie étoit occupée à l'accorder, faifit ce moment pour demander avec une forte d'inquiétude à madame Berrard, ce qui l'avoit engagée à fermer l'appar

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