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tement & à établir le tour dont Cléante venoit de lui parler. Un rien, monfieur, un très - petit événement qui qui n'a laiffé nulle trace dans l'efprit de Zélie, mais qui pouvoit déranger nos projets, s'il eût été répété. Vous favez que l'ufage de la campagne eft est que les vaffaux de la terre viennent le premier mai, planter un arbre à la porte de leur feigneur; les habitans de ce lieu vous adorent; ils étoient venus s'acquitter de ce devoir. Un tambour & des violons précédoient la jeuneffe du village, parée de rubans de votre livrée. Zélie, âgée de fept ans alors, étoit accourue fur le balcon de la grande falle qui donne fur la cour, & je crus ne devoir pas l'empêcher de prendre cet amufement. Dès que les plus forts des villageois eurent planté le mai, & que le bailli fe fût écrié par trois fois, » Vive » le roi & notre bon feigneur qui le fert » fi bien!» les jeunes gens & les jeunes filles fe prirent par la main, & danfèrent tous en rond autour du mai, chantant des couplets dont les violons répétoient le refrein. J'obfervois les yeux de Zélie, que ce petit fpectacle amufoit, & qui n'eût pas été trop fâchée de fauter avec eux.

La danfe étant finie, chaque villageois donna la main à fa danfeufe pour la reconduire près de fa mère: l'un d'eux', plus entreprenant que les autres, eut la hardieffe de faifir dans fes bras celle qu'il tenoit, & de lui donner un baiser qu'il ne déroboit pas, car la fillette paroiffoit le recevoir d'affez bon cœur. Ah! ma bonne, regardez donc comme on embraffe cette jeune fille, s'écria Zélie; c'eft fûrement fon bon ami, comme M. le marquis de Sainville eft le mien; car il me paroît trop jeune pour être fon papa. Non, ma mignonne, lui dis-je; je les connois tous les deux, c'est le frère de cette fille; & fi vous en aviez un, il vous embrafferoit de même. Ah! me dit-elle avec cet air ingenu que vous lui connoiffez, je ne me foucie point du tout d'avoir un frère: mon papa l'aimeroit peut-être mieux que moi. Je veux, oui, je veux toute feule, toute feule jouir du plaifir d'être embraffée par lui.

La porte du cabinet qui s'ouvrit à l'inftant, & Zélie fe tenant bien droite & portant fa harpe d'un air triomphant, fauvèrent Sainville de l'embarras d'avoir à cacher le trouble que le récit

de madame Berrard venoit d'exciter dans fon ame. Zélie préluda d'une main légère, & paffant par degrés à des accords plus doux & plus harmonieux, elle accompagna fa voix charmante en

chantant:

Si lagna la Tortorella

Nell' affenzza d'el fratel amato.

Il feroit bien difficile de définir ce qui fe paffoit alors dans le cœur de Sainville; il n'en auroit pu rendre compte lui-même. Il étoit enchanté des talens, des nouvelles graces & des fentimens qu'il trouvoit dans Zélie. Peut-on être auffi parfaite à douze ans, fe difoit-il? que fera-t-elle donc à quinze, lorfque fon efprit fera plus éclairé? Son imagination lui peignoit Zélie avec trois années de plus : un fentiment auquel il n'ofoit s'arrêter, le troubloit affez pour lui faire defirer & craindre également de la voir à cet âge. Ah! Dorival, Dórival, s'écria-t-il promptement, que tu ferois heureux, que tu ferois content de ton ami, fi tu voyois ta Zélie ! Nous ne pouvons point dire fi Sainville avoit déja befoin de fe

rappeler les devoirs facrés de l'amitié; mais nous pouvons affurer qu'il les remplit tous, & que l'amour paternel ne peut infpirer des foins & des fentimens plus purs & plus tendres que ceux dont il fe fentit pénétré pour Zélie.

Ce fut avec le même empreffement que Zélie lui donna des preuves tour-àtour de tout ce qu'elle avoit acquis dans fon abfence; mais il eût été bien facile de diftinguer que ce n'étoit point avec le petit amour-propre d'une enfant de fon âge, mais avec le fentiment & la fimplicité d'une fille bien tendte qui rend compte de fes occupations à fon père, & qui defire ardemment trouver dans fon ame la douce récompenfe de fes premiers fuccès.

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...Sainville mérita bien pendant le féjour qu'il fit dans fon château, la tendreffe, la foumiffion, l'entière confiance de Zélie, & la haute opinion que Dorival avoit eue de l'honneur & des fentimens qui régnoient dans fon ame.

Il reçut, il approuva les tendres plaintes que lui fit Zélie, de n'avoir point encore acquis les connoiffances que peut donner la lecture: il lui promit de réparer promptement ce qu'il avouoit

être un oubli de fa part. Il la prévint que ce ne feroient point des livres qu'elle recevroit de lui. Les Auteurs de ces livres, lui difoit-il, font presque toujours beaucoup plus occupés d'eux que du fond de leur ouvrage. Le defir de briller, l'efprit de parti, l'amour de leur opinion particulière, altèrent souvent la vérité des faits, excufent des actions coupables, & préfentent des préjugés comme des principes. J'efpère, ma chère Zélie, me rendre digne de votre confiance par mon extrême attention à vous garantir de recevoir de fauffes idées. Je ferai des extraits de tous les livres que je croirai propres à vous plaire comme à vous inftruire; je tâcherai de m'éloigner également d'une féchereffe qui vous rebuteroit, ou de ces détails minutieux qui furchargent la mémoire fans éclairer l'efprit. J'éviterai fur-tout ces longues differtations fouvent obfcures, qui ne prouvent que la prétention, ou les nuages que des Auteurs orgueilleux ou fans énergie fèment dans le récit des faits qu'ils n'ont pas mis affez en ordre pour les écrire avec force & rapidité. Quoi! mon ami, lui dit Zélie, vous pouvez avoir la pa

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