Imágenes de páginas
PDF
EPUB

compenfe du mérite militaire, Arifte eut la douleur de voir fon neveu s'excufer, par quelques raifons plaufibles, de l'accepter. Captivé par un fentiment intérieur qu'il n'ofoit encore approfondir, de peur de fe trouver coupable, Sainville n'étoit déja plus le maître de donner aux occupations, aux voyages d'un infpecteur, un temps qu'il croyoit devoir à perfectionner l'éducation de la fille de fon ami.

La fageffe & la raifon en imposeront toujours à la frivolité, lorfqu'elles paroîtront fous des traits aimables.... Le chevalier de Villers ne put revoir Sainville fans l'éprouver : il devint plus attentif près de Clarice; cela lui fuffit pour le faire paroître encore plus aimable. Le temps du deuil de cette charmante veuve venoit de finir, & malgré quelques réflexions que l'amitié de Sainville pour elle, lui fuggéroit encore, il ne put lui refufer de feconder auprès de fon père les premières démarches qu'elle fe propofoit de faire pour lui faire approuver qu'elle donnât fa main à Villers. L'un & l'autre trouvèrent bien des oppofitions de la part de ce miniftre, déja prévenu contre la

conduite souvent imprudente & le ca ractère léger du chevalier. A la fin, cédant à la tendreffe qu'il avoit pour cette fille aimée, fe rappelant combien elle s'étoit rendue eftimable par fes foins pour le vieux Cléon, & trouvant qu'il étoit jufte que l'amour la dédommageât de la perte de ses premières années, il confentit à lui laiffer partager fa fortune avec un homme de grande naiffance, qui n'avoit contre lui que les petits défauts trop ordinaires aux gens de la cour de fon âge. Mais il exigea de fa fille d'attendre encore un an, d'être plus réservée que jamais avec Villers, & même de ne le recevoir que rarement chez elle. Clarice le lui promit en foupirant une promeffe faite par une femme eftimable, au père le plus digne d'être aimé, fut pour elle un ferment bien respecté.

Villers fe plaignit bientôt à Sainville du changement de la conduite que Clarice obfervoit avec lui. N'en feriezvous pas peut-être vous-même la cause, lui dit-il en riant? Vous êtes tous les deux bien aimables: vos fentimens l'un pour l'autre paroiffent fi férieux & fi tendres, qu'il eft difficile à la feule

[ocr errors]

amitié d'en faire naître de pareils. Ne fe riez-vous pas un peu tentés de vous foumettre à préfent à la même chaîne qu'il ne tint qu'à vous deux de porter?

Sainville, dans la première furprise que lui caufoit le propos léger & déplacé de Villers, ne l'avoit pas interrompu: Ne vous lafferez-vous donc jamais, mon cher Villers, lui dit-il avec une forte d'indignation, de juger le caractère des autres d'après la légèreté du vôtre? Sachez que ce que vous ne regardez que comme une plaifanterie, m'offenferoit vivement de tout autre que vous. Ah! n'ayez d'inquiétude que fur vous-même; n'ayez d'autres foins que ceux de mériter un cœur vertueux prêt à fe donner à vous. Mais, quoique tout doive vous affurer que je fuis véritablement votre ami, fongez que je le fuis de Clarice, & que je cefferai d'être le vôtre, fi vous manquez aux égards que vous lui devez, & fi par votre faute vous faifiez le malheur de fa vie. L'air attendri qu'eut Sainville en prononçant ces derniers mots, ne put infpirer à Villers que le fentiment de la reconnoiffance: il embraffa

tendrement Sainville. Ah! mon ami, lui dit-il, que je me hais quelquefois de n'avoir pas le courage & la raison de vous reffembler ! Je fens toute la force, toute la vérité de ce que vous venez de me dire; & je fens encore plus le tort que j'eus, en entrant dans le monde, de ne m'être pas affez rendu maître de mes premiers mouvemens, & d'avoir toujours cédé trop facilement à la première féduction. Vous êtes encore à temps de revenir de ce foible, lui dit Sainville; & l'amour le plus heureux fera votre maître, fi vous favez apprécier tout ce qu'il vous destine, & le bonheur d'être aimé par une femme telle que l'aimable & vertueuse Clarice.

Villers, frappé de cette conversation, fentit la vérité qui venoit de parler par la bouche de Sainville. Sa conduite en effet, près de Clarice, fut pendant long-temps celle qu'elle pouvoit lui defirer elle l'eût peut-être été d'avantage, fi Sainville, abfent depuis plus de fix mois de Zélie, & ne pouvant plus résister aux fentimens qui l'entraînoient à fon château, ne fût parti pour s'y rendre, bien muni de tout ce

qu'il put imaginer d'utile à l'inftruction comme à l'amufement de fon élève.

Nous laiffons aux lecteurs nés fenfibles, le plaifir d'imaginer quel fut le charme de l'entrevue de Sainville & de Zélie leurs premiers embraffemens, leurs innocentes careffes furent celles d'un père & d'une fille bien tendres, bien enchantés de fe revoir. Mais, quel eft donc le pouvoir de la beauté !... Quoique Zélie n'eût encore que quatorze ans, la fienne étoit déja fi par-. faite, fa taille élevée & fon air étoient fi nobles, que bientôt Sainville devint plus timide auprès d'elle. Pour la jeune & charmante Zélie, s'abandonnant avec candeur à tout ce qu'elle croyoit devoir à Sainville, fon air fut toujours le même; fon ingénuité, fon innocence ne lui permettoient pas de fe refufer au plaifir de lui prodiguer bien des careffes qu'elle ne favoit pas même pouvoir être des faveurs. Sainville eût démenti fon fyftême, s'il en eût fait connoître le prix, en ayant l'air de s'en défendre; mais il ne les lui rendoit plus l'eût-il ofé!... vertueux autant qu'il l'étoit, lorfqu'il ne pouvoit

« AnteriorContinuar »