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lui de l'élever dans la plus obfcure retraite, & de la féparer de tout ce qui pourroit troubler la tranquillité de fon cœur.

Eh! croyez-vous donc être sûr d'avoir réuffi, mon cher coufin, lui ditelle en le regardant fixément? Zélie a feize ans ; vous avez formé fon cœur & fon caractère; elle vous doit tout; elle n'a vu d'autre homme aimable que vous. Ah! feroit il poffible qu'elle fût infenfible pour celui que le goût & la raifon auroient dû lui faire préférer même au milieu du plus grand monde? Et vous-même, mon cher Sainville, avezvous pu vous défendre d'être fenfible aux dons qu'elle a reçus de la nature & à toutes les perfections qu'elle raffemble & qui font votre ouvrage ? Ne cherchez point à fonder mon cœur, lui répondit Sainville en foupirant. Ah! ma chère coufine, aidez-moi plutôt à m'empêcher d'y lire moi même. Vous connoiffez mes principes, & je préférerois la mort au malheur de les démentir. Non, je n'ai point l'amour-propre de me flatter qu'avec vingt ans de plus que Zélie, je puiffe encore lui plaire; & je me regarderois comme le plus lâche de tous les

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hommes, fi j'abufois de fa reconnoiffance, & fi je la trompois au point de ne la pas mettre à portée de faire un meilleur choix. C'est de vous, de votre prudence & de votre amitié, que j'attends le fervice effentiel de commencer à faire connoître le monde à Zélie: c'est en vos mains que je defire la remettre au moment qu'elle y paroîtra; & vous ferez la première à qui Zélie dévoilera les fentimens d'un cœur encore trop ingénu pour qu'elle puiffe vous les diffimuler. Je ne dois, en ce moment, me regarder que comme fon père; & lorfque je l'aurai dotée, c'est à vous que je remettrai tous mes droits fur le refte de fa deftinée. Clarice fut très-touchée de la haute eftime que Sainville avoit pour elle, & l'affura que, dès ce moment, elle vouoit à Zélie l'amitié d'une foeur aînée › qui fe rendroit digne de la confiance qu'elle auroit en elle.

Sainville eût balancé peut-être à lui demander dans quels termes elle en étoit alors avec le chevalier de Villers, mais elle-même le prévint. Hélas! ditelle, je crois fouvent qu'il m'aime, & j'avoue que j'ai toujours la foibleffe

de le defirer; mais que de raifons ne me donneroit-il pas de rompre entièrement avec lui, fi je ne favois que, fouvent emporté par une imagination trop vive, fa légéreté ne tient qu'à fon caractère, & ne prend rien fur fes fentimens ! Vingt fois je l'ai vu pleurer à mes genoux, & détefter tout ce qui pouvoit me déplaire; mais à la fin on fe laffe de pardonner. Il eft temps qu'un mariage depuis long-temps prefque annoncé dans le public, s'accompliffe ou fe rompe. Mon père me preffe même aujourd'hui de ne pas porter plus loin l'épreuve qu'il m'avoit demandée; & je fuis decidée, au retour du voyage que Villers fait en Gafcogne, ou de lui donner ma main, ou de le bannir à jamais de ma préfence. Je ne peux m'empêcher de vous dire même que j'ai quelques noirs preffentimens, & que fon départ précipité pour fon régiment me donne des foupçons que je chaffe avec peine.

pa

Sainville lui dit tout ce qui lui rut propre à la raffurer, quoiqu'il ne fût pas lui-même fans inquiétude, connoiffant le goût que le Chevalier avoit

pour toutes les aventures nouvelles qui rioient à fon imagination.

L'un & l'autre avoient des foupçons trop bien fondés fur ce prétendu voya ge de Gascogne. Villers, ému d'abord par la première peinture que le domeftique renvoyé du château de Sainville avoit faite des charmes de Zélie, l'avoit été bien davantage lorsque Dorimène, qui connoiffoit fon caractère un peu romanefque, avoit eu l'art d'embellir encore le premier récit que ce domeftique avoit fait, & de perfuader que c'étoit une aventure digne de lui d'aller tirer cette jeune beauté d'un efclavage où, fans doute, elle languiffoit.

Quelles raifons peuvent engager Sain

ville, difoit Dorimène, à la cacher avec tant de foin? Je defirerois qu'elle fût fa fille; car, en ce cas, ce feroit le meilleur parti qui fût en France. Elle pourroit faire la fortune d'un cadet de bonne maifon. Si cette jeune fille eft une maîtreffe qu'il ait élevée pour lui feul, rien ne feroit fi plaifant que de l'enlever, malgré toutes les précautions qu'il a prifes pour fe la conferver, & de démafquer fa fauffe philo

fophie. Depuis long-temps il en impo-
fe au public par une fageffe affectée :
il s'érige en cenfeur de tous les gens de
fa fociété. Vous-même
même, ne l'avez-
vous pas vu vingt fois vous affommer par
fes triftes remontrances? La vengeance
la plus jufte & la plus plaifante que
vous puffiez en tirer, feroit de lui prou-
ver qu'il eft tout auffi foible qu'un autre,
& qu'il eft beaucoup plus dupe & plus
extravagant, en imaginant qu'il pourra
conferver pour lui feul une espèce
d'efclave, qui doit beaucoup s'ennuyer
de fon fultan dans cette trifte prifon.

Un pareil propos étoit bien propre à féduire une auffi mauvaife tête que celle du chevalier de Villers. Dorimène avoit bien faifi fon foible, & le goût qu'il avoit pour les aventures fingulières. Dès qu'elle le vit ébranlé pour entreprendre ce qu'elle lui propofoit, elle le détermina fans peine, en lui facilitant les moyens d'y réuffir. Nous pouvons, lui dit-elle, faire tout ce que nous voudrons, avec de l'argent, du domeftique que la duègne de cette jeune fille a renvoyé par imprudence; je vous l'offre de tout mon cœur : il connoît les entours du château ; c'est

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