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zèle dont il fe fentoit animé. Le capitaine & Dorival prévinrent le gouverneur en lui conduifant foixante hommes d'élite bien armés, & demandèrent qu'il les plaçât dans le pofte où leur fervice pourroit être le plus utile, ce qui fur le champ leur fut accordé.

Deux jours s'étoient à peine écoulés lorfqu'ils apperçurent au clair de la lune trois gros vaiffeaux qui jetoient l'ancre à demi-portée de canon d'une anfe dont l'abord étoit facile, & qu'ils étoient chargés de défendre, n'ayant pu former encore qu'un léger retranchement de terre & de fafcines bientôt fix groffes chaloupes pleines de foldats dont la lune faifoit briller les armes furent détachées de ces vaiffeaux, & voguèrent vers l'anfe pour y defcendre. Le capitaine & Dorival firent cacher leur petite troupe derrière leurs légers parapets, après avoir braqué deux pierriers chargés de mitrailles contre l'anfe. fur laquelle les ennemis devoient defcendre; c'eft après avoir fait ces difpofitions qu'on attendit les ennemis en obfervant le plus grand filence.

Lorsque les fix chaloupes furent en

trées dans l'anfe, & que deux cents hommes qu'elles portoient furent defcendus en confufion fur le rivage du fond de l'anfe, le capitaine & Dorival firent partir en même temps les deux pierriers ; & les foixante hommes fe levant en criant, tue! tue! vive le roi la mort & la terreur portèrent un tel défordre dans cette troupe, qu'abandonnant fes armes, elle ne penfa plus qu'à se rejeter dans les chaloupes pour s'enfuir & regagner les vaiffeaux. Mais deux nouvelles décharges des pierriers ayant fracaffé trois de ces chaloupes, une autre ayant été fubmergée par l'affluence de ceux qui s'y jetoient, deux feules parvinrent à fortir de l'anfe pour regagner leurs vaiffeaux. Les cris affreux de ceux qui périffoient à chaque inftant, & la lueur du feu continuel que faifoient les François, ayant dirigé celui des vaiffeaux, ils tirèrent plufieurs bordées de leur artillerie fur la côte; mais ce feu, qu'ils firent au hafard, ne fut funefte que pour le capitaine, auquel Dorival eut la douleur de voir emporter la tête à côté de lui.

L'alarme avoit été promptement portée dans toute l'île; des feux avoient

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été allumés de toutes parts; & les ennemis ayant connu que leur entreprise étoit manquée, dès qu'ils eurent rembarqué le peu de foldats qui revinrent à bord, ils mirent à la voile, & difparurent de la vue de l'île avant la pointe du jour. Dorival ayant fait une fortie du retranchement au moment où les ennemis étoient en défordre, avoit fait un grand nombre de prifonniers, avec lefquels il revint triomphant au fort principal, & fut reçu du gouverneur avec tous les éloges qu'il méritoit.

Le gouverneur fit partir fur le champ une corvette légère, pour avertir le commandant général de l'Inde de l'attaque imprévue qu'il venoit d'effuyer; & dans fon récit, il fit le plus grand éloge de la prudence & de la valeur de Dorival, auquel il devoit, difoit-il, de n'avoir pas été furpris. Il en écrivit dans les mêmes termes dans le rapport qu'il fit au miniftre, & qu'il lui fit paffer par un vaiffeau qui retournoit en Europe. Ce même miniftre étoit le père de Clarice; il fut très furpris de trouver le nom de Dorival dans le rapport du gouverneur, mais il n'imagina point que ce pût être le

même que celui pour lequel Sainville & le marquis de Villers s'intéreffoient fi vivement: cependant il eut l'attention de placer cette lettre dans le même carton où le mémoire qu'ils avoient fait en fa faveur étoit confervé.

Le gouverneur fit rendre tous les honneurs militaires au brave capitaine de vaiffeau qui venoit de mourir en le défendant. Il récompenfa magnifiquement le détachement de fon équipage; & préfentant une riche épée à Dorival, Je vous offre, lui dit-il, monfieur, le feul préfent que je trouve digne de vous; c'eft au meilleur & au plus grand monarque de l'Europe à récompenfer la belle action que vous venez de faire.

Dorival, quoique pénétré de douleur, ne négligea rien de tout ce qui pouvoit tenir les comptes de l'ami qu'il venoit de perdre, dans le meilleur état; & tout l'équipage du vaiffeau s'étant affemblé, il fut élu tout d'une voix pour en prendre le commandement, & le conduire dans l'Inde.

Ce fut avec le plus grand regret que le gouverneur de l'île de Bourbon vit. partir Dorival, qui, felon les ordres qu'il avoit trouvés parmi les papiers du

capitaine, devoit fe rendre à la côte de Coromandel. En arrivant dans un des ports du royaume de Golconde, il dépêcha l'un des officiers de fon vaiffeau pour faire part de fon arri vée au général François, prendre fes ordres, & lui porter une lettre particulière dont le gouverneur de l'île de Bourbon l'avoit chargé.

Ce feroit ici le moment de rendre à ce général le jufte tribut des louanges qu'il mérite; mais nous ne ferions que répéter ce que l'hiftoire confacrera dans les faftes de la nation, ce que la jaloufie de nos voifins eft forcée d'avouer, & ce que l'amour & la vénération des Indiens fe plaisent à répéter fans ceffe.

Lorfque monfieur de Buffy recut la lettre du gouverneur de l'île de Bourbon, qu'il avoit fait lui même placer dans cette île, comme un brave officier dont il connoiffoit l'intelligence & l'intégrité, cet habile général foutenoit alors, à la tête d'un corps d'Européens, les intérêts du puissant Nabab SalabetZingue contre les armées réunies de plufieurs autres Nababs, fes vaffaux, que les Anglois avoient fecrettement portés à fe revolter contre lui.

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