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plus rien que de facile & de brillant dans mon projet. Je fuis le feul homme qu'elle ait vue, fon père l'ayant toujours cachée à tous les yeux. Il m'eft important d'avoir prévenu ce cœur qui n'a jamais rien aimé. Il faut que Sainville adore fa fille, puifque fa tendreffe pour elle le tient éloigné de la cour & même de fes proches depuis trois ans. Il voudra faire fon bonheur en me la donnant. Vas, mon amour m'éclaire fur le plus heureux avenir!.... Je le defire plus que je ne l'espère, dit froiment Champagne. Ils furent interrompus par la voix de deux perfonnes qui caufoient ensemble en entrant dans le fallon, & tous les deux fe renfermèrent pour fe concerter ensemble.

C'étoit Arifte & Cléante qui les avoient interrompus. Vous avez tort, difoit Arifte à Cléante, de me cacher ce que vous favez touchant cette jeune perfonne : « Vous connoiffez la tendreffe » que j'ai toujours eue pour mon neveu; » une curiofité fondée fur un intérêt fi » vif, n'eft pas faite pour infpirer la ré» ferve & la défiance. En vérité, mon» fieur, répondit Cléante, le fort de » cette enfant eft un mystère impéné

» trable; elle occupe la partie du châ»teau oppofée à celle-ci. Toutes les » vues de fon appartement donnent fur » le parc; j'ai feul la clef d'une porte » qui communique à fon appartement. Il » y a dans ce cabinet un tour immense, » semblable à ceux qu'on voit dans les » couvens : c'eft là que chaque jour » je vais prendre fes ordres & lui por» ter toutes les chofes qu'elle defire, » excepté des livres, quoiqu'il y en » ait beaucoup dans la bibliothèque du » château, & fur-tout beaucoup d'hif»toire & de morale. - Eh! que peut» elle donc faire dans une retraite fi pro», fonde, fans le fecours de la lecture?» Ah! monfieur, interrompit Cléante, » elle lit beaucoup; mais tout ce qu'elle » lit eft de la main de monfieur le mar» quis. Avant-hier encore j'ai porté » au tour deux volumes qu'il m'avoit » envoyés. On vous parle donc au tra» vers de ce tour, dit Arifte? - Non, » je trouve un papier fur lequel Zélie » ou fa bonne ont tracé les ordres » qu'elles me prefcrivent; tous les ma»tins je vais les prendre. Seriez-vous » curieux de voir celui d'aujour» d'hui ? il eft écrit de la main de » Zélie ?»

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On croira facilement qu'Arifte en montra la plus vive impatience; mais, lui dit-il, comment connoiffez-vous l'écriture de Zélie ? Par la quantité de lettres qu'elle me charge de faire paffer. J'en ai même trouvé une ce matin à côté de ce papier,que j'ai fait fur le champ partir par un exprès. Arifte déploya promptement ce papier, lut ce qui fuit : » Il faut en» voyer fur le champ, par un homme » à cheval, cette lettre à monfieur de » Sainville, afin qu'il la reçoive sûre»ment avant que d'arriver. » Ceci n'eftil pas inquiétant, dit Arifte? Mon neveu revient ce foir; il faut qu'il leur foit arrivé quelque chofe de bien extraordinaire. Oh! monfieur, point du tout, dit bonnement Cléante; & toutes les fois que mon maître revient. c'eft la même chofe : c'eft apparemment une attention pour qu'il reçoive de fes nouvelles en chemin. Bon! dit Arifte en lui-même, cette attention est bien tendre, & reffemble bien à la paffion. En continuant à lire ce papier, il vit que Zélie demandoit qu'il portât au tour des plumes, des crayons, de l'encre, du papier; qu'elle demandoit son dîner & fon fouper aux heures ordinai

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res, & des glaces à cinq heures. Mais dit Arifte; elle fait donc deffiner ?.. Oh! vraiment je le crois, répondit Clé ante; elle eft même bonne muficienne car elle me demande trèsfouvent de la mufique & des cordes d'inftrumens, & je ne doute pas qu'elle ne fache très-bien employer fon temps. Mon étonnement redouble à chaque mot, dit Arifte à Cléante! Je vous plains, car j'imagine que vous êtes fans ceffe occupé d'aller & de revenir à ce tour. On vint les avertir alors que le marquis de Sainville arrivoit, & qu'il y avoit des dames dans la voiture, ce qui parut bien extraordinaire au bon-homme Cléante qui, depuis bien des années, n'en voyoit entrer aucune dans la maifon.

Arifte, refté feul tandis qu'on alloit recevoir Sainville, fe livroit à bien des. réflexions. «Eft-ce fa fille, fe difoit-il ? » eft-ce l'objet d'un fentiment plus vif... >> encore?.... L'un & l'autre ne s'ac» cordent point avec la haute opinion que »j'ai de la fageffe de Sainville. Il faut » abfolument que je pénètre ce mystère. » Sainville me doit trop & connoît trop >> bien mon cœur, pour ne pas me laiffer » lire dans le fien. »

>>

Jufqu'ici je me fuis cru permis de fuivre mes idées en écrivant l'hiftoire de Dorival, & le commencement des amours de Sainville & de Zélie; mais le public perdroit trop, fi je ne m'afsujettiffois à préfent à fuivre prefque en entier le texte de la comédie de Zélie. Eh! que pourrois-je dire d'auffi précis, & qui puiffe plaire autant aux lecteurs? L'art de la comédie eft fupérieur à celui du Roman, & l'auteur de Zélie me l'eft bien plus encore. J'interromprai donc fouvent mon récit pour rapporter des fcènes entières.

Sainville & Clarice ayant eu quelque peine à fe débarraffer de l'énorme quantité de paquets & de cartons dont mademoiselle Victoire, femme-dechambre de Clarice, avoit inondé la voiture, arrivoient ensemble. Le hafard fit que le domeftique du chevalier de Villers étant forti par une garderobe, Clarice d'un feul coup d'œil reconnut Champagne : c'en fut affez pour la troubler, & pour lui faire préfumer que le chevalier étoit dans le château.

ARISTE, en embraffant le Marquis.

Eh bien! mon neveu "
que dites-
de l'aifance avec laquelle je

Vous

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