'établis chez vous en votre abfence? LE MARQUIS. Je regrette bien de n'être pas arrivé plus tôt, & d'avoir perdu un jour.... ARISTE & CLARICE. Madame, quel hafard heureux nous réunit ici tous les trois ? > CLARICE. C'est une complaifance qui m'a peu coûté...... Mais, ditesle chevalier de Villers eft moi?.. ici!.... LE MARQUIS, riant. Ce hafard-là en vaut bien un autre, n'eft-ce pas ?... ? ..... ( à l'intendant) il eft feul fans doute ?.. L'INTENDANT. Oui, Monfieur.... Ah!... j'oubliois de vous dire qu'un homme eft venu hier demander quand vous reveniez ; il n'a pas voulu dire fon nom mais il y a déja plufieurs jours qu'on le voit roder autour du château. LE MARQUIS. Eft-il jeune?... L'INTENDANT. Non, d'un certain âge, & l'air fort trifte & fort malheu reux. LE MARQUIS. Ah! s'il revient, qu'on lui dife que je fuis arrivé & qu'il pourra me voir.... L'INTENDANT. Il eft fûrement dans la misère ; & connoiffant la bienfaifance de M. le Marquis..... LE MARQUIS. Il fuffit, monfieur Cléante; faites chercher le chevalier, pendant que je vais conduire Madame à fon appartement. CLARICE. C'est ce que vous ne ferez point: reftez-là, je l'exige Je vais me repofer & m'habiller, & dans une heure je reviendrai vous rejoindre. Allons, Victoire.... (à part.) Le chevalier ici!... Qu'eft-ce que cela fignifie ? Le marquis de Sainville & fon on cle reftèrent feuls: l'un & l'autre avoient defiré ce moment; mais tous les deux fentoient alors ce trouble involontaire que doivent éprouver deux hommes fenfibles, lorfque l'un veut pénétrer un mystère dont l'éclairciffement peut l'accabler de douleur, & que l'autre eft prêt à faire l'aveu d'une foibleffe qu'il ne peut ni ne veut bannir de fon ame. Arifte fe trouvoit alors dans ce même château de fon frère, où Sainville avoit été remis dans fes bras, & où fes foins les plus tendres avoient élevé l'enfance de Sainville. « Ici, lui dit-il, tout » retrace à ma mémoire ce temps heu reux où j'étois le feul objet dont votre » cœur fût occupé. Vous m'aimiez » alors!.... Ah! pourquoi donc ai-je » été douze ans fans revoir ce féjour où tout doit vous rappeler ma ten» dreffe pour vous?.... Quelle cause fecrette & fatale vous a donc éloigné » de moi?.... qui m'a ravi votre con» fiance, votre amitié? Qui m'a fait » perdre, enfin mon fils, le foutien & l'unique efpoir de ma vieilleffe? » Ah! mon oncle, répondit Sainville » les larmes aux yeux, plaignez un malheureux,furpris,confondu lui-même de » l'exès de fon égarement.... Mais n'accufez point un cœur qui n'a jamais ceffé » de vous refpecter & de vous chérir. » Ah! quelle étonnante hiftoire faudra» t-il.... Je ne vous en ai jamais » parlé, dit Arifte en l'interrompant; » je crois que déja j'en fais une partie : » j'ai été long-temps, comme le public, » la dupe de votre prétendu dégoût » pour le monde; mais vous remplif» fiez du moins alors une partie des de»voirs de votre état & de la fociété. Il » n'y a guère que cinq ans que le pro grès de votre penchant pour la foli>tude a commencé à m'étonner; de » puis deux ans fur-tout vos longues & » fréquentes abfences m'ont fait naître » des foupçons qui me rapprochoient » affez de la vérité; enfin, malgré toutes "vos précautions, on a découvert.... Arifte s'interrompit, en voyant l'embarras de fon neveu; car l'homme de bien qui veut fecourir le foible, craint le moment de le confondre & de l'accabler. << Vous êtes, continua-t-il, mon » cher neveu, vertueux, eftimable; je » le fais, je vous aime & je vous plains. » Si vous penfiez différemment, vous ne » me verriez point ici.... Vous me » plaignez!... dit Sainville: ah! fans » doute, je le mérite. . . Je me fuis » égaré... je fuis foible & malheu » reux; j'ai befoin de vos confeils... » hélas ! & fur- tout de votre indulgence. Vous m'effrayez, Sainville, » dit vivement fon oncle; parlez-moi » fans détour.... Quel eft cette enfant fouftraite à tous les yeux, que vous » élevez avec tant de mystère?... A » qui doit-elle le jour ? fa mère vit-elle » encore?... Malheureux, vous vous » taifez?... Ah! fi vous aviez, fans » mon aveu, difpofé de votre main, » fans doute un choix déshonorant.... » Non, Non, mon oncle, raffurez-vous, dit » vivement Sainville, je fuis libre en"core.... Cette orpheline infortunée » ne m'eft rien.... La pitié, l'amitié » me la firent adopter.... Depuis près » de treize ans je poffède ce dépôt pré» cieux.... Auriez-vous abufé des » droits qu'on vous céda? dit Arifte » avec un air févère. Grace au ciel, » s'écria Sainville, mon cœur eft pur: » je ne fuis qu'un insensé, je n'ai abusé » que moi-même. Vous le voulez; » écoutez donc le trifte récit de ma » foibleffe & de mes égaremens. Ce » n'eft point un fecret que vous m'ar»rachez; depuis plus de fix mois je » fuis décidé; mon projet étoit de vous » parler, de vous amener ici.... Mais » je ne voulois me déclarer que la » veille de mon départ. Le vôtre a été » fi imprévu, fi précipité, que je n'ai pu » exécuter ce deffein. J'avois choifi. » dans ma famille, vous & Clarice, » pour cette étrange confidence.... » Hélas! que vais - je vous appren» dre?.... Parlez, parlez, dit vive»ment Arifte, tirez-moi d'une incer❝titude qui me fait mourir. » Sainville raffemblant fes efprits, & Р |