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tenant la main de fon oncle, commença par lui rappeler fes anciennes liaisons avec Dorival. Mais, dit Arifte, on affure qu'il n'existe plus; & qu'expatrié depuis fon combat contre Valcourt, il s'eft allé faire tuer dans l'Inde. Tout le monde le croit comme vous, lui dit Sainville. Alors, reprenant l'hiftoire de fa jeuneffe & celle de Dorival, il attendrit Arifte par le récit des malheurs de fon ami, par la mort touchante de fa femme, & par le moment où ce père infortuné s'étoit vu forcé de remettre fa fille dans fes bras: » C'eft cette même » enfant, c'eft cette même Zélie, s'é» cria-t-il en repandant des larmes dans » le fein de fon oncle, c'eft cet être » intéreffant, objet de tant de foins & » de tant d'opinions diverfes. » Mais qui put, interrompit Arifte, vous engager à choisir un genre d'éducation... Je ne formai pas d'abord le deffein bizarre que j'ai fuivi depuis, dit Sainville; mais une converfation que j'avois eue avec Dorival, m'en fit naître l'idée dans la fuite. D'ailleurs, l'apparence de la mort de mon ami me persuadant que cette enfant que j'avois adop tée n'avoit plus d'autre père que moi,

-ce dépôt précieux m'en devint plus cher; je ne pus me réfoudre à la faire élever dans un couvent; l'efprit qu'on y peut prendre du monde, pouvoit être dangereux pour elle. Je crus devoir. me charger moi même de fon éducation, aidé par une feule gouvernante. Il m'eût été bien impoffible d'exécuter mon projet dans Paris : » C'eût été m'expofer à » la curiofité, aux vaines conjectures du » public, à mille queftions auxquelles » je n'aurois pas voulu répondre ; il fal»loit donc la fouftraire à tous les yeux... » Mais, quels auroient été fes maîtres? » quelles inftructions auroit- elle re»çues? L'intérêt furnaturel qu'elle » m'infpiroit, ou plutôt ma deftinée » fut vaincre tous les obftacles. Je me chargeai moi-même entièrement de » fon éducation; &, du moins à cet » égard, j'ai fuivi tous les devoirs que » je m'étois impofés. Mais, dit Arifte, » quels projets formiez-vous alors pour » la fuite de fa deftinée ? Celui de cul» tiver fon cœur & fon efprit, lui ré»pondit Sainville, de l'aimer comme >> une fille que j'avois adoptée, de lui » affurer un fort heureux & indépen»dant, lorsqu'elle auroit atteint l'âge

» de la raison. Tels étoient les deffeins » que m'infpiroient alors l'amitié » l'honneur, la vertu.... Hélas! un » penchant irréfiftible, une paffion fa» tale a depuis bouleverfé toutes mes » idées, anéanti mes réfolutions; & » j'ai vu avec effroi, mais trop tard, » que né pour la protéger, pour lui fer» vir de père, des motifs fi purs, des » titres fi refpectables n'étoient plus » faits pour moi. Trop foible pour me » vaincre, affez vertueux encore pour » me condamner, je ne me fuis point déguifé l'excès de ma folie, La diffé»rence de nos âges, de nos fortunes, » de nos états, vos deffeins fur moi » tout élevoit entre nous d'éternelles » barrières. En cédant à ma paffion, je » m'attirois l'indignation de ma famille; » je perdois fans retour votre tendreffe, » & je n'étois aux yeux du monde qu'un » vil féducteur. »

On ne dit jamais que la dernière, la vraie raifon qui nous maîtrife: » Vous » l'avouerai-je, continua-t-il, tout me >> portoit à cacher à mes amis, à vous» même ma malheureufe paffion. Je ne » peux me flatter d'être aimé, ou du » moins je n'en fuis pas sûr: accoutumée

à ne voir que moi, Zélie me prodi"gue tous les témoignages innocens du » fentiment le plus tendre; mais la re" connoiffance & l'amitié pourroient-ils > fuffire à mon cœur?... Prêt à lui tout » facrifier, je lui voudrois, pour fon bon» heur & pour le mien, une paffion qui » répondît à la mienne. ... Eh! com»ment l'efpérer, comment m'en affu»rer, tant que je ferai le feul objet » qu'elle connoiffe, & qui puiffe lui » paroître aimable & fenfible?»

A ces mots, Sainville lui fit connoître les raifons qu'il avoit eues de venir paffer trois mois dans fon château. Dès (ce même jour, ajouta-t-il, je vais lui rendre une pleine liberté: elle passera ces trois mois avec Clarice, comme ma propre fille; nous la mènerons après à Paris. Un couvent lui fervira d'afile; c’eft-là que, la laiffant maîtreffe abfolue d'elle-même, Zélie pourra décider de fon fort; & je fuis sûr que vous ne défapprouverez pas qu'en la laiffant libre, je lui affure une fortune honnête & convenable à sa naiffance.

L'étonnement d'Arifte, en écoutant Sainville, l'avoit empêché de l'interrompre. L'excellence de fon cœur ne

lui permettoit que l'attendriffement d'un ami; mais, croyant cependant que l'oncle devoit parler dans ce moment, il lui fit les plus fortes représentations fur fa pofition préfente, & furtout fur la néceffité, qu'il regardoit comme abfolue, que Sainville renonçât à fon amour, & fit une alliance propre à porter fa maifon au plus haut degré d'élévation & de gloire. Ah! mon oncle, lui dit Sainville en foupirant, » Maître de mes actions &; de ma con» duite, je ne peux l'être de mon cœur. » Zélie feule peut décider de ma desti» née!... Mais, de grace, mon cher » oncle, fuivez-moi, venez la voir, fa » vue peut-être me juftifiera; venez. »

Arifte, qui brûloit de voir & de connoître Zélie, fuivit Sainville qui le conduifit dans fon appartement intérieur, où tout ce qui frappa fes regards annonçoit l'inftruction la plus variée & la plus fuivie. Quoique le cœur du fage Arifte fût fermé depuis longtemps à la plus douce des paffions, il ne put voir la charmante Zélie fortir d'un cabinet à la voix de Sainville, fans en être ému. Un fimple habit de taffetas blanc paroiffoit avoir été placé par les

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