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porte d'être trompée, fi je ne fuis plus aimée? Mais le véritable amour ne se rend pas aux plus fortes apparences; il lui faut les coups les plus mortels pour le détruire, & fouvent même eft-il en core affez malheureux pour y furvivre. Celui de Clarice ne put donc lui laiffer former d'autre deffein que de faire tout au monde pour éclaircir ce mystère.

Sainville ne pouvoit douter, que la jeune Zélie n'eût fait une impreffion bien agréable fur fon oncle; mais ce n'étoit pas affez pour le fatisfaire; il defiroit revoir Arifte, & connoître quels feroient fes fentimens quand les premiers mouvemens d'une admiration qu'il avoit bien obfervée feroient paffés. Il lui fut facile de trouver for oncle feul, & plus facile encore de faire tomber la converfation fur celle qu'il avoit toujours préfente dans fon cœur.

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<< Mon cher neveu, lui dit Arifte, fi » jamais un égarement fut excufable, » c'eft fans doute le vôtre. Oui, je » conviens que Zélie eft charmante: » mais enfin, ce n'eft qu'une enfant; » & fans parler de ce manque de con» venance entre vous, fi la raifon ne » triomphe pas du penchant qui vous

» entraîne vers elle, dans quels mal» heurs... Ah! mon oncle, interrompit Sainville, croyez que je me fuis », dit à moi-même tout ce qui peut dé» truire une paffion fi funefte.... Je la » combats depuis plus d'un jour... Mais je ne crains pas de vous l'avouer & s de vous le répéter, fi je pouvois me » croire aimé, il n'y a point de facri»fice que je ne fuffe prêt à lui faire, » & le plus grand fans doute feroit de » m'expofer à perdre vos bontés. Telle » eft ma foibleffe, & je ne puis vous » tromper là-deffus : mais, loin d'en 5 avoir l'efpoir, il me faudroit les preu»ves les plus fortes, les plus convain» cantes de fa tendreffe pour me le per» fuader. Il eft vrai que Zélie, naturel»lement fenfible, me montre une re» connoiffance fi vive, que tout autre » que moi pourroit peut-être s'y mé» prendre mais auffi vous convien» drez que fi Zélie pouvoit penser à » préfent qu'il lui feroit poffible d'ai» mer un autre objet plus qu'elle ne » m'aime, il faudroit qu'elle fût la plus » ingrate de toutes les créatures; & fon »ame eft honnête, autant qu'elle eft » paffionnée : elle ne connoît encore

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dit

» que l'amitié, & elle l'éprouve avec » toute la vivacité d'un cœur innocent » & pur. Voilà les réflexions qui vien» nent fans ceffe s'offrir à mon efprit; » elle me préferveront du malheur que » vous] craignez.... Quoi! dit Ariste, » fi Zélie cédoit à l'impreffion d'un » nouveau fentiment, vous auriez la » générofité de ne point apporter d'obf»tacle à fes defirs? Qui! moi, » vivement Sainville) moi, m'oppofer » à fon bonheur? Ah!... je fus fon » père avant d'être fon amant. » Quelle faffe un choix digne d'elle, & » j'aurai le courage d'étouffer à jamais » une paffion malheureufe. Je connois » l'étendue de mes devoirs envers elle; » je les remplirai tous, en duffai - je » mourir. Ah! mon cher neveu, lui » dit fon oncle, quel mélange étonnant » de vertus & de foibleffe? Sans cette » paffion fatale, que ne feriez-vous pas ? » mais elle a détruit votre activité » & votre ardeur pour la gloire. La >> force de votre ame s'épuife & fe con» fume dans les vains combats d'un » amour infenfé. Avec une ame fi peu » commune, avec tant de qualités fi fu» périeures, ne gémiffez-vous pas en

fecret du rôle que vous avez pris » quand vous fongez à tous les avanta»ges qu'il vous fait perdre ? Mais Zélie » s'avance; je vous laiffe avec elle: » adieu, fouvenez-vous du moins de » vos réfolutions. ... Arifte fortit, mais » en fongeant à trouver les moyens de » lui ravir toute espérance. »

Clarice n'avoit pas perdu le souvenir des parures qu'à l'âge de Zélie elle avoit aimées; & lorfqu'elle en avoit le moins de befoin, Victoire, à fon premier ordre, avoit raffemblé de bien bon cœur tous ces jolis ajuftemens qu'elle favoit placer avec adreffe, & dont elle regrettoit que fa maîtreffe ne fe fervit plus. L'une & l'autre avoient affifté, malgré Zélie, à fa toilette; & jamais femme, le jour de fa présentation à Versailles, ne s'eft vue furchar gée d'autant de diamans & de pompons que Zélie en avoit, lorsqu'elle parut aux yeux de Sainville. Cependant Zélie s'étant défendue de quelques coups de pinceau qu'on vouloit lui donner de plus, fon rouge de la bonne faifeufe, légérement appliqué, n'altéroit point la douceur de fa phyfionomie fes yeux feulement paroif

foient avoir plus de vivacité; mais leurs regards furent toujours les mêmes, & fon ame y peignit également & fes fentimens & fa candeur. En approchant de Sainville » Ah! lui dit-elle, »je viens d'éprouver une frayeur ex» trême! Cet extravagant, ce jeune » homme dont je vous ai parlé.......... il » eft ici, ou je fuis bien trompée : en » traverfant la cour, j'ai cru l'apperce

voir; il s'avançoit vers moi; mais » en voyant ma bonne qui me fuivoit, »il a pris la fuite : il m'a fait bien peur, » & j'en conferve encore un battement » d'une force étrange. En effet, dit »Sainville, vous avez l'air bien émue... » Ah! fe dit-il tout bas, ce n'eft pas »là de la frayeur;... c'eft plutôt >> un trouble dont elle ignore & le » nom & la caufe. Il m'a paru fort » bien mis, dit auffitôt Zélie; fa phyfionomie eft douce & intéreffante ; mais je trouve bien étonnant qu'a»vec un tel dérangement dans l'ef» prit, on le laiffe ainfi livré à lui» même, & .... Il n'en faut plus dou»ter, fe dit Sainville Zélie, pour➜riez-vous me dire de quelle couleur » étoit fon habit ? Gris & argent, dit

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