Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

» elle. C'eft lui-même.... fe dit en»core Sainville. Ecoutez-moi ma > chère Zélié : vous verrez aujourd'hui » ce même jeune homme; il eft ici. »Je vous ai parlé du chevalier de Vil»lers; eh bien! c'eft votre inconnu. » Ma furprife eft extrême.... lui ré»pondit Zélie! comment peut-on re»cevoir dans la fociété.... Si vous » vous trouvez feule avec lui, dit froi» dement Sainville, vous pourrez lui » dire ce que vous penfez, & les fen» timens, tels qu'ils foient, que fa » conduite & fes difcours vous infpi»reront je ne vous prescris rien là» deffus; feulement je vous préviens » parce que je le dois,... que fa tête » eft légère, qu'il eft étourdi, incon» féquent & vain, & que fes princi» pes ne font pas auffi purs que les » vôtres.

» Cette connoiffance m'eft inutile, » dit Zélie je le fuirai, parce que je » le crains. Vous le craignez.... dit-il » vivement, eft-ce qu'il vous déplaît ? » Non, dit-elle d'un air, ingénu, fon » extérieur prévient & n'offre rien que » d'agréable, mais fa folie m'effraie. » Ah! je ne vois que trop, dit Sain

» ville en lui-même, qu'elle en eft » déja charmée ! » Pendant quelques momens encore, tous les deux répondant chacun à fon idée, ils continuèrent à ne fe plus entendre, quoique tout dût annoncer dans les yeux de Zélie le feul fentiment qui rempliffoit fon cœur. Sainville eut l'injuftice de croire qu'elle aimoit déja le chevalier, & fut charmé que Clarice vint interrompre un entretien qui le défespéroit: il fortit également rêveur & agité.

«Eh quoi! dit Clarice en entrant, >>> je fais fuir le marquis.... Mais Mais que » vois-je ? qu'avez-vous, ma chère » Zélie? Parlez-moi avec confiance, » je vous en conjure. Non, je ne le » puis, dit Zélie, alarmée des derniers » regards & du brufque départ de Sain» ville; non, madame, je dois ren» fermer au fond de mon cœur les » peines qui m'affligent: hélas, mada» me, je fuis bien malheureuse! Vous? » eft-il poffible?dit Clarice bien fur» prife! eh comment? Mon fort eft » changé, madame, dit Zélie en fou» pirant, & je ne pouvois qu'y perdre. » Quoi! dit Clarice, on vous a rendu » la liberté, le plus précieux de tous

» les biens; qu'avez-vous à regretter? » La liberté.... dit douloureusement » Zélie.... je fais qu'on la chérit, » qu'on la vante; mais je n'en connois » pas le prix, & je regrette le bonheur » inexprimable de voir, à toute heure » & fans contrainte, le feul objet que » j'aimois : oui, madame, j'ai perdu » cette félicité fi douce, & rien ne peut m'en dédommager. Vous m'étonnez, belle Zélie, lui dit Clarice! com»ment pouviez-vous donc, avec un "pareil fentiment, fupporter l'absence » du marquis? Seule, fans diftractions, » la douleur & l'ennui devoient vous confumer? Ah! madame, dit Zélie, toute diftraction m'eût été odieufe; » je chériffois la folitude avec lui;

&, fans lui, elle feule me conve» noit. Son fouvenir, fes lettres me » préférvolent; & les talens qu'il m'a » donnés, én occupant mes loisirs, en » me rappelant fes foins & fes bien» faits, m'arrachoient à l'ennui. Mais, » interrompit Clarice, dans votre foli

tude vous étiez ignorée; fi belle & fi » jeune, fe peut-il que le defir de pa"roître avec éclat dans le monde ne fe » foit jamais offert à votre efprit? Hé

[ocr errors]
[ocr errors]

las, répondit-elle en foupirant, qu'a» vois-je à fouhaiter, & comment une » curiofité fi vaine auroit-elle pu..... » Vous ne concevez donc pas, belle » Zélie, dit Clarice, le plaifir d'être » louée, admirée ? Ah! madame, dit » Zélie.... eh! n'ai-je pas joui de ce >> bonheur fi doux de plaire à ce qu'on aime? Tout autre éloge, repartit » Clarice, vous feroit donc indifférent? » Je vous avoue, madame, répondit » Zélie, que cette queftion m'étonne. » Exifteroit-il donc une perfonne affez > bizarre pour rechercher ce qui ne la » touche point? Vouloir plaire, n'eft» ce pas aimer ? Et fans un cœur fen» fible, à quoi pourroit fervir ce fri» vole avantage? »

Clarice rougit un peu la vérité, l'ingénuité de cette réponse de Zélie, portoit un trait de lumière fur les légers travers des premières années de fon mariage. «Quelle ame fenfible &

pure, dit-elle en elle-même! & l'ingrat ne » la connoît pas.... Ah! ma chère enfant, que vous m'intéreffez ! Mais, puifque vous êtes aimée, comment » n'êtes-vous pas heureufe? Hélas! ré» pondit Zélie, il n'eft plus le même

» pour moi triste, rêveur, diftrait, » fes discours, fes regards, en lui tous "eft changé; il a l'air inquiet, & je » ne fuis plus l'objet qui l'occupe en» tièrement. Quoi! dit Clarice, con» noîtriez-vous déja les tourmens de » la jaloufie? De la jaloufie! dit Zélie » étonnée : je ne fais ce que c'eft. Com»ment, dit Clarice, plus étonnée en» core, ce mot vous feroit inconnu ? » Pardonnez-moi, répondit Zélie d'un » air fimple; fouvent, dans nos lectures, » j'ai vu des rivaux de gloire & d'am»bition, animés par la jaloufie; mais

je ne lui connois pas d'autre fignifi»cation. Cette ignorance me furprend, »dit Clarice vous avez beaucoup lu, » comment fe peut-il.... J'ai très» peu lu de livres, répondit Zélie du » même ton: pour m'épargner du tra»vail & de l'ennui, il s'impofoit la » peine de me faire des extraits fur l'hiftoire & la morale, & prefque » toute ma bibliothèque eft écrite de » fa main. Quelle précaution! fe » dit tout bas Clarice. Croyez-vous » donc, ma chère Zélie, qu'il y ait » beaucoup d'exemples de l'éducation » que vous avez reçue? Ah! madame,

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »