vous rends vos fermens, vous êtes libre encore. ZÉLIE. Ah! s'écria douloureusement Zélie, ah! mon père, fouffrez du moins des regrets fi juftes.... fouffrez des larmes que rien ne tarira jamais.... Que je puiffe fans contrainte les repandre dans vos bras .... ne me raviffez pas le feul bien qui me refte. DORIVAL. O ma fille! tu déchires mon cœur. .... Hélas! n'achève pas un fi grand facrifice: s'il doit faire à jamais ton malheur, pourrois-je efpérer d'en recueillir le fruit?.... ZÉLIE. En vous abandonnant, je ferois plus coupable & plus infortunée.... DORIVAL. Le temps s'avance, les momens nous font chers.... O ma chère Zélie! ranime ton courage, confulte ton cœur, & pour la dernière fois.... parle, & prononce l'arrêt de notre destinée. ZÉLIE. Mon père.... j'ai parlé.... j'ai promis.... en duffai-je mourir oui je tiendrai mes fermens. Dorival au comble de fon efpérance; l'ame pénétrée, tranfportée par le fenti ment le plus délicieux, ne put s'empêcher de ferrer fortement Zélie fur fon cœur. DORIVAL. Ah! c'est donc à moi, s'écria-t-il, à tomber à tes pieds... Alors éperdu, cédant au trouble qui l'agitoit, il alloit peut-être fe déclarer en ajoutant, je retrouve donc ma fille!... Ah! le temps. . . . & mon bonheur confoleront ton ame: je.... Mais dans l'inftant même on entendit du bruit; & Zélie s'échappant de fes bras, lui dit: ah! mon père, ô ciel ! modérezvous, on vient.... Dorival, plein du projet dont il voyoit l'heureufe fuite affurée, dit à Zélie, adieu.... dans une heure je ferai à la petite porte du parc; j'en ai deux clefs.... Voilà celle que je vous deftinois. A ces mots, il remit cette clef dans fes mains; & voyant fon guide s'avancer, il le fuivit, en fe difant tout bas : Ah! fut-il jamais un père plus heureux ?... Dorival ne perdit pas un inftant, traverfa promptement le parc, fe rendit chez le fermier, & donnant à fon fils un petit paquet, il le fit monter à cheval & l'envoya chercher fes deux Indiens auxquels il donnoit ordre de le venir joindre fur le champ avec le feul coffre qu'ils euffent apporté. La petite ville où ces Indiens étoient demeurés cachés, n'étoient diftante que d'un quart de lieue du hameau; une heure à peine s'étoit écoulée, qu'ils arrivèrent à la ferme. Le vieux fermier fut très-étonné de voir entrer chez lui deux hommes bien faits, bien vêtus, mais d'un teint fort. brun, dont le premier mouvement, en revoyant Dorival, fut de pofer leur front à terre à fes pieds. Il le fut encore plus lorfque Dorival ayant ouvert le coffre qu'ils avoient apporté, celui qu'ils avoient pris jusqu'alors pour un vieux foldat bien pauvre, tira du coffre un long habit d'étoffe d'or un baudrier, un fabre enrichi de diamans & une espèce de bonnet élevé, furmonté d'une aigrette dont l'oeil avoit peine à foutenir l'éclat. Mes amis, leur dit-il, en leur donnant un gros fac plein de pagodes d'or, partagez ma joie & ma fortune: je ne vous demande qu'une heure de filence de plus; & bientôt vous allez voir ce maître qui vous eft fi cher, & votre hôte, au comble de la félicité. Que perfonne ne forte de cette maison; attendez-moi, foyez tranquilles. Je vais fortir feul, & mon abfence ne peut être longue. A ces mots, voyant que le jour commençoit à tomber, il partit fous son habit de foldat & vola vers cette porte où Zélie avoit promis de le joindre. Pendant le peu de temps que Dorival venoit d'employer aux préparatifs qu'il avoit imaginé de faire, la malheureuse Zélie, plus morte que vive, étoit prête à fuccomber à fon défespoir. « Dans » une heure.... fe difoit-elle, dans » une heure.... je frémis........ qu’ai-je » fait ? qu'ai-je promis, grand Dieu!... » je fuccombe à tant de peines, un froid » mortel glace mon cœur.. ma force » m'abandonne. Hélas! que ne » puis-je mourir! »s • .. Zélie en effet feroit tombée de faififfement, fi elle ne s'étoit appuyée fur une table, & fi Clarice ne fût accourue les bras ouverts en lui criant: »Zélie, » ma chère Zélie, je vous cherchois... » le marquis vient de m'inftruire... O » ciel! que vois-je, dit-elle en s'inter» rompant? Quelle pâleur effrayante couvre votre vifage?... Mais vous » avez éprouvé des fecouffes fi violentes » aujourd'hui, que je ne fuis pas furpri»fe... Ce n'eft rien, madame, dit Zé» lie... Ah! fans doute ... j'en éprou» ve de bien terribles; mais, madame, » que fait Sainville?... En doutez-vous, » ma chère Zélie, lui dit Clarice? ... » Sainville, au comble de fes vœux, s'occupe des préparatifs de fon bonheur; » enivré, tranfporté, il ne voit, n'en» tend rien, & ne pense qu'à vous.... » Déja le notaire eft mandé; déja l'E»glife eft préparée pour vous recevoir » & vous unir l'un & l'autre pour ja» mais.... Tout le château retentit de » cette heureuse nouvelle.... les portes » font ouvertes, on entre en tumulte; » on répète, on célèbre le nom de Zélie; » on crie, on s'embraffe, & la joie de »Sainville paffe dans tous les cœurs. » Ah! malheureufe, dit tout bas Zélie » en foupirant.... Le feul Arifte, con>>tinua Clarice, toujours farouche & » fombre, s'eft renfermé dans fon appar» tement; mais je viens de laiffer Sain» ville à fes pieds, & fans doute il le » fléchira.... Ah! madame, s'écria Zé» lie.... mon cœur ne peut fuffire aux >> mouvemens qu'il éprouve.... ils |