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tu reconnois pour l'être, toi, né libre dans cette île qui n'a point encore reconnu de maître? Mère aimée, lui disje, c'eft celui que tous les plus braves du Nord reconnoiffent; c'eft le grand Harald dont les armes victorieufes ont fait contribuer la France, & l'ont déja rendu maître d'une partie de la Grande-Bretagne. Si tu ne m'en crois pas, écoute des pêcheurs Norvégiens qui viennent d'arriver. Amène-les-moi, me dit-elle; c'eft par leur récit que je verrai fi je peux t'accorder une demande qui me perce le cœur. Je courus chercher le patron d'une de ces barques, homme affez inftruit pour fon état, & je le conduifis à ma mère.

Quel est donc, lui dit-elle, ce conquérant qui fait redouter fes armes fur tant de rives étrangères? Eft-il auffi digne, pendant la paix, de régner sur tant de peuples vertueux de les me

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ner aux combats & de les faire triompher par fon courage? Je l'ignore, répondit le patron; mais tout tremble fous fon empire. Petit-fils, par fa mère, d'Yvarvidfamy, il s'eft emparé depuis douze ans de toutes les vaftes poffeffions de notre dernier roi; fon mariage avec

l'a

la princeffe héritière de la Botnie rendu maître abfolu du grand golfe. Mais, quoique poffeffeur d'une des plus belles princeffes de l'univers, quoique dès la première année de fon mariage il en ait eu un fils, fon humeur inquiète, guerrière, farouche même, ne lui permet pas d'habiter le fein de fes états; & depuis douze ans, fans ceffe les armes à la main, il vole de victoire en victoire, ou fur le continent, ou fur des flottes formidables qui font redouter dans toutes les mers de l'Europe le nom d'Harald Hydeltand. A ce nom, ma mère fit un cri d'horreur & de furprife: Hydeltand étoit celui qu'elle m'avoit donné. Un tremblement univerfel la faifit en faifant de nouvelles questions au patron, dont les réponses éclaircirent fes doutes, & répondirent à fon noir preffentiment. Ma mère éperdue congédie le patron, fe jette la face contre terre; fes fanglots fe confondent avec fes cris. Eperdu, confterné de son état funefte, je l'embraffe, je relève avec peine fa tête qu'elle penche fur fon sein. O ma mère ! lui criai-je, que dois-je redouter? Qu'a donc de fi terrible pour nous ce nom d'Hydeltand que tu m'as

donné? Ah! malheureux, s'écria-t-elle, que ce nom fatal & celui dont tu le tiens ne foient-ils effacés de la mémoire des homines! Apprends, fils infortuné, apprends toutes les horreurs qui ont environné ta naiffance & ton berceau; frémis d'avoir eu la penfée de fervir un monftre, dont la main barbare arracha la vie à mon père, dont les defirs affreux & le crime ont empoifonné mes jours, & qui t'a fait naître dans un opprobre dont la plus grande ame peut à peine fe relever. A ces mots, fes yeux étincelèrent de fureur; & ce ne fut qu'en m'attirant dans fes bras, & m'en repouffant tour-à-tour, que fa voix entrecoupée par les fanglots, me raconta l'hiftoire affreufe de nos malheurs. Je te connois trop, lui dis-je, dès que j'eus la force de parler; oui, je te connois trop, mère fenfible & vertueufe pour ne pas comprendre que ce n'eft qu'à ton amour pour moi que je dois la vie; & bien plus encore, que je dois la tienne. Non, depuis long-temps tu ne refpirerois plus fi tune m'avois aimé: décide de mon fort. O ma mère, ô ma feule amie ! je fuis prêt à te faire les plus affreux facrifices. Non, je ne

dois rien au moment de fureur qui poffédoit Hydeltand. Hélas! il n'eft. aucun fils qui ne béniffe dans fon père le fentiment qui charme jufqu'au ferpent pour fa compagne. Ah, dieux ! fautil donc que je ne doive mon existence qu'au crime, à la mort, à la fureur? Ordonne, ô mère outragée ! je fuis prêt à voler au milieu de l'armée d'Harald, pour enfoncer un poignard dans un fein que je ne peux plus regarder comme le fein paternel, & qui ne l'a jamais été pour ton malheureux fils.

Ma mere, émue, pénétrée de me voir agité par les mêmes fentimens qui l'affectoient, me ferre dans fes bras: Arrête, mon fils, me dit-elle; non tu n'as point de père, & le fein qui t'a nourri eft le feul qui foit ouvert pour toi; mais laiffe à la puiffance célefte la vengeance de la punition des crimes d'Harald vivons l'un pour l'autre & tenons-nous lieu du refte de l'univers.

J'obéis à ma mère; & me profternant à fes pieds, je lui jurai l'amour. & l'obéiffance la plus fidelle. Les barques repartirent par un vent plus favorable; je reftai dans l'habitation de

ma mère, ne penfant plus qu'à faire fon bonheur par mes foins les plus tendres: elle connut bientôt que l'activité de mon ame & de mon âge avoit befoin d'un lien de plus, pour être captivée. Admise dans les temples confacrés à Friga, plus d'une fois elle avoit admiré les charmes d'une jeune beauté, fur le front de laquelle l'innocence & la candeur brilloient également; elle étoit de la race des plus anciens poffeffeurs de l'Iflande; & l'origine la plus pure & la plus refpectable de la nobleffe, eft celle de l'hommage rendu librement par des concitoyens que le ciel avoit fait naître nos égaux. Ma mère me la fit voir un jour que les jeunes filles de l'île s'exerçoient à la courfe; ma mère, comme une des plus confidérables habitantes, avoit été choifie pour couronner celle qui remporteroit le prix : elle eut le plaifir de le donner à celle avec laquelle une douce fympathie l'avoit unie; elle eut celui de voir que je joignois l'hommage de mon cœur à cette couronne. Elle fit la demande de Zermide, c'eft ainfi que cette jeune infulaire fe nommoit; elle me fut ac

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