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dans les antres

" nous étions peu nombreux, fans lois & fans fociété. La rigueur de l'hiver, fi cruelle dans ces climats, détruifoit fouvent nos enfans, ou les faifoit périr par la faim; c'eft à l'un de vos premiers rois, c'eft à Frothon le pacifique que nous devons de nous être réunis, de mériter le nom d'hommes, & de n'être plus malheureux. Ce prince, en cherchant à pénétrer dans la Grande-Bretagne, fut jeté comme vous fur cette côte par les vents & la violence des courans que vous avez éprouvés. Il nous eût bien facilement détruits ou fubjugués; mais l'ame de ce grand prince étoit trop belle & trop jufte pour fe noircir par un pareil crime. Il nous attira par fes bienfaits; il nous apprit à cultiver la terre, à réunir nos forces. pour nous former des habitations; il fit encore bien plus pour nous, il nous apprit à nous aimer. Devenu le père commun de cette île, il y féjourna près d'un an, & fe plut à nous aider à former une nation nouvelle. Aimez-vous " fervez-vous mutuellement, nous dit-il à fon départ; adorez le grand Tad qui yous a créés, & vous n'aurez pas befoin de lois. La victoire m'appelle chez vos

barbares voifins: ils en ont des lois; mais leur façon de les exercer les leur rend nuifibles. Ne vous éloignez point trop de vos anciennes mœurs; mais, je vous le répète, aimez-vous, fervezvous, & vous ferez affez policés fi vous êtes juftes.

Frothon partit, & fit plufieurs campagnes heureuses dans la Grande-Bretagne; mais s'occupant toujours de cette ile & de la nation nouvelle qu'il regardoit comme fon ouvrage, il détermina plufieurs de fes foldats vétérans, & même quelques anciens capitaines de fon armée, à venir s'établir & conferver parmi nous les nouveaux ufages & les premiers arts qu'il avoit introduits pour nous rendre heureux : cette famille qui vous entoure, & moi, nous defcendons de l'un de ces capitaines de Frothon & fon nom & fa mémoire nous feront à jamais facrés.

Nous n'avons aucun commerce, ajouta le vieillard, avec les Bretons. Que pourrions-nous apprendre d'eux, qui ne corrompît des mœurs fimples que notre intérêt commun nous fait craindre d'altérer ? Voraces & fanguimaires dans leurs repas, le lait de leurs

troupeaux ne peut leur fuffire. La brebis qui leur a donné fa toison, le bœuf qui vient de labourer leur champ, font maffacrés fans pitié pour affouvir leur faim. Féroces dans leurs amours, ils dédaignent le foin & le bonheur de plaire l'or, l'artifice ou la force font employés tour-à-tour pour fatisfaire une paffion que le dédain & le dégoût fuivent de près. Le grand art de la navigation qu'ils ont perfectionné, & qui dans fa deftination légitime devroit être un lien qui réunît les nations cet art eft devenu, dans leurs mains l'arme funefte de l'injuftice & de la cruauté. Toujours agités dans leur intérieur, il femble que la haine & la difcorde planent fans ceffe fur leurs têtes dans leurs affemblées; cependant, déteftant tout pouvoir fupérieur, leur orgueil les anime à l'acquérir fur leurs compatriotes. Souvent les bourreaux, dans leurs places publiques, paroiffent préfider fur des échafauds fanglans.

Triftes dans leurs feftins, le froid raisonnement, l'amère ironie & l'aigreur de la difpute en banniffent le plaifir. La vile débauche les termine

prefque toujours tout, jufqu'à leurs fpectacles, fe reffent de la férocité de leur caractère. Un mélange monftrueux de fublime, d'exagération, de baffeffe, de fuperftition & d'impiété, une invraisemblance, une obfcénité rebutantes y 'conduifent toujours à quelque catastrophe fanglante qui révolte la nature; & c'eft parce qu'ils bravent fans ceffe les lois qu'elle impofe à la raifon, qu'ils fe croient fupérieurs aux autres hommes (1).Tels font ces Bretons que nous évitons fans les craindre; il eft moins dangereux pour nous de les combattre, que de vivre avec eux. Quel est donc, noble étrangère, l'intérêt qui t'attire dans cette île, où,

(1) Le vieillard Schetlandois ne pouvoit pas prévoir alors que les deux Bacons, Loke, Newton & beaucoup de grands hommes, ilJuftreroient un jour la Grande-Bretagne ; il parloit en général des mœurs du peuple Breton, & fouvent il feroit encore en droit d'en parler de même. Mais ce vieillard, plein de cette candeur que donnera toujours la pleine obfervation de la loi naturelle, ne confondroit pas aujourd'hui les mœurs d'un peuple féroce & groffier, avec celles de plufieurs de leurs compatriotes qui nous prouvent que les leurs font également épurées, nobles & généreuses,

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tôt ou tard, l'Europe armée entrera pour la punir, changer fes mœurs & réformer fes lois ?

La franchife & l'honnêteté du vieillard Schetlandois avoit pénétré fes hôtes de la plus haute eftime pour lui. Rigda n'héfita point à lui raconter ses malheurs. Reine du Nord, dit-il, ton récit a frappé douloureufement mon ame; voyons ce que je peux faire pour toi grace aux bienfaits de l'un de tes aïeux, cette grande île eft aujourd'hui très-peuplée; & l'ardeur guerrière des fectateurs d'Odin, brûle dans le cœur de fes habitans. Je vais les affembler, & leur dire que le premier & le meilleur ufage qu'ils puiffent faire de leurs armes, c'eft d'unir leurs haches & leurs boucliers à ceux des Norvégiens. Si j'en crois mon preffentiment, tu réuffiras dans tes deffeins. Il femble que le grand Tad ait deftiné les rois du Nord à punir les républiques corrompues, & la décadence de celle des Bretons fuivra de près celle des Romains.

A ces mots, le vieillard fortit, donna fes ordres, & fit élever un drapeau rouge fur le faîte de fon habitation. Sur le champ, de pareils drapeaux furent placés

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