Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dre l'un & laiffer l'autre. C'est ce défaut de difcernement dans les leçons qu'on donne fur la science Militaire, qui fait que l'on voit fi peu de grands Capitaines. Si l'on m'en cite quelques-uns, qui fans avoir rien appris, ont rempli le monde de leur gloire ; je dis moi que c'est une espece de prodige, des hommes extraordinaires, qu'on voit à peine dans l'efpace de plufieurs fiecles. Je demande même fi nous fommes bien affurez que parmi les Conquérans & les grands Capitaines, dont l'Hiftoire parle, il ne s'en trouve pas quelques uns, qui ne font rien moins que des hommes miraculeux, & fi l'on ne fe trompe pas dans l'idée qu'on s'en forme. Entend t on dire parmi les gens éclairez, que les Capitaines tirent leur réputation du nombre de leurs Victoires? Non fans doute: on en juge feulement, par les moyens

[ocr errors]

qu'ils ont employez pour venir à leur fin. Le plus ou le moins de mérite de ceux contre lefquels ils ont combattu, les éleve ou les abaiffe dans l'efprit des connoiffeurs qui n'ont garde de juger des hommes par le fuccez ; car fouvent les fautes les plus groffieres & les plus lourdes, peuvent tourner en bien par la bizarrerie du hazard, & par un effet contraire, quelquefois l'on eft vaincu après les mefures les plus juftes, & l'on n'eft loué que de de perfonnes, à moins que la campagne fuivante ne nous remette 'fur les traces de la victoire. On gagne fouvent des batailles par la bêtife de l'ennemi, & par la lâcheté de fes Troupes, fans que le Général victorieux paffe pour un grand homme dans l'efprit des Experts. Quelquefois cet ennemi, qui fe trouve très-brave, & trèsexperimenté dans un tems, n'eft

peu

[ocr errors]

plus le même dans un autre. Une Bataille gagnée contre les Perfes du tems de Cyrus, étoit un titre très - glorieux; les vaincre du tems de Xerxés, & de Darius, il n'y a rien là de fort éclatant ni qui nous furprenne. Voilà ce qu'on doit confiderer à l'égard des Peuples vaincus, les tems de corruption, & les tems vertueux; mais lorfque deux Armées font égales en valeur, en difcipline & en experience, autant que par le mérite des Généraux, on juge alors tout autrement du gain ou de la perte d'une Bataille. On examine l'ordre & la difpofition des deux Armées; la conduite des deux Chefs dans le commencement, comme dans le cours du combat, & dans les fuites mêmes. Après cet examen, l'on peut déci der, c'eft la balance des Experts. On doit conclure de ce que je dis ici, que c'eft la fcience qui

forme les grands Capitaines & l'experience qui les perfectionne. Cette fcience ne fe voit pas dans nos abreviateurs militaires, j'ofe efperer qu'on la trouvera dans mon Ouvrage.

CHAPITRE II.

Erreur de s'imaginer que la Guerre s'apprend par routine. C'est une fcience plus fpeculative qu'expé

rimentale.

[ocr errors]

A plûpart de nos Officiers, qui ne fçavent que leur routine, s'imaginent fauffement, & prétendent nous faire acroire que la Guerre eft une fcience purement experimentale, qu'elle ne peut s'apprendre que par l'ufage, c'est donc un métier ? Ils font tout confifter dans cet ufage, & ceux qui l'ont le plus pratiqué, font

eftimez les plus habiles. Quelle. étrange opinion! S'il étoit vrai que la guerre ne roulât que fur F'expérience; un Royaume, parexemple, comme la France, approcheroit de fa décadence, felon le plus ou le moins de tems qu'il fe maintiendroit en paix, & dix ou douze années de repos, ou d'inaction, nous feroient plus ruineufes, que quinze ou vingt années d'une guerre continuelle. Qu'on confidere que quinze, au vingt ans de fervice fur la tête d'un vieux Officier qui ne connoît que fon expérience, & fa routine, & qui fe repofe quinze autres dans la paix, oublie ce qu'il a appris, dans la guerre. Car qui peut dif convenir que l'expérience ne se: perde & ne s'oublie par le défaut d'exercice ? Et dans le tems où nous fommes, nos Officiers s'exercent-ils pendant la paix? Mais je fuppofe que cet Officier n'a rien

2:

« AnteriorContinuar »