Imágenes de páginas
PDF
EPUB

neur de le faire voir en 1709. à feu Monseigneur le Dauphin, Duc de Bourgogne, qui n'eut pour tout défaut qu'une vie trop courte pour faire paroître les vertus: il me fortifia dans l'execution de mon entreprise. Il lut le projet, & le trouva beau; j'avois des reffources en ce grand Prince, que je n'ai plus, avec lui je perdis ma fortune que je pleure bien moins que la mort. Je méprife l'une, & ce mépris eft un effet de la douleur de l'autre, qui ne doit jamais finir dans un cœur reconnoiffant. J'eûffe peut-être mieux fait d'abandonner mon Ouvrage après un coup fi accablant pour moi. Il y en avoit un autre qui m'atten doit ; car lorfqu'on eft né malheureux la mauvaise fortune eft inépuifable, fon carquois est toujours rempli. La paix, fi rare fous une Régence, & qui illuftre plus celui qui nous la procure, que la guer

re la plus glorieuse, me fit courir en Suéde, où le feu Roy Charles XII. m'avoit fait appeller. Je portai tous mes papiers fur la guerre, & ce que j'avois écrit fur Polybe, dans le deffein de finir mon Commentaire fous les yeux d'un des plus braves & des plus grands Capitaines de notre fiécle. Je l'avois prefque achevé lorsque je me mis en route pour revenir. Ce retour ne fut pas heureux, je m'embarquai à Gottembourg fur un vaiffeau, qui fembloit affronter les tempêtes,& qui ne laif

fa

pas de périr par l'ignorance du Pilote. Nous échouâmes aux rifs de Schager, fur la côte du Jutland. Je perdis tous mes papiers, trop heureux de me fauver nû en chemise. Tout autre que moi n'eût plus penfé à Polybe: je me rembarquai fur nouveaux frais, & regardai une fi grande perte comme un non avenu.Devois-je retrogra

der, & faire retraite après avoir réédifié un Ouvrage fur un plan nouveau, plus étendu & plus méthodique que le premier ?Nonfans doute: il me restoit pourtant un obitacle à furmonter pour l'execu tion. On entend bien que je veux parler d'une traduction de mon Auteur, beaucoup plus exacte que les autres. Je fçavois déja que celle de du Rier étoit. infidelle & peu estimée. Il a marché fur les traces du Latin de Cafaubon, & Cafaubon eft fouvent très-embaraffé, & très - obfcur dans les endroits où il auroit pû fe difpenfer de l'être : Polybe étoit trop habile guerrier pour tomber dans ce défaut.

Un Officier intelligent eft clair dans les chofes qui font de fa compétence. Or Cafaubon n'avoit aucune expérience de la guerre, & peut être peu de connoiffance de la milice des anciens. Il faut avoir

[ocr errors]
[ocr errors]

l'une & l'autre pour bien écrire, & pour rendre fon Auteur par des termes équivalens: fans ces qualitez on ne peut s'empêcher de tomber dans le galimatias, il y eft tombé avec tout fon fçavoir dans le Grec,& du Rier à fon imitation. En devons-nous être étonnez

[ocr errors]

puifque nos Hiftoriens y tombent, eux qui écrivent dans leur propre langue.

Je ne fçavois à qui recourir, je m'adressai à un ordre de Sçavans ; je confultai les uns, & je propofai l'ouvrage aux autres; mais point de nouvelles. L'entreprife les épouvanta: elle leur parut trop grande & trop vafte ; je m'en doutois bien, parce qu'elle l'étoit en effet. Que faire ? où aller ? je confulte un Sçavant celebre, bomo antiqua virtute ac fide. Vous perdez vos pas, me dit-il, adreffez-vous aux Benedictins de faint Germain, vous y trouverez fûre

ment ce que vous cherchez. Ceux des nôtres, qui peuvent entendre quelque chole du Grec, font trop occupez; outre que le Grec d'un Hiftorien tout militaire comme le vôtre, n'est pas une chofe fort aifée à manier. Je m'apperçus alors que je n'avois pas affez étudié la Carte du Parnaffe, que j'avois fait une fauffe route & cherché l'Attique dans le païs Latin. Je fuivis le confeil que l'on m'avoit donné, je courus aux Benedictins, où je trouvai Athenes. Tout eft Grec dans cette fçavante Congrégation, ou pour mieux dire on y eft tout ce qu'on y doit être. C'est le trône des fciences, on diroit qu'elles y ont établi leur tabernacle, auffi- bien que les vertus. Celles ci y font vraies & folides, celles - là étenduës & profondes; elles y paroiffent fans orgueil, fans fafte, fimples, douces, modeftes, fans ambition, fans

« AnteriorContinuar »