Imágenes de páginas
PDF
EPUB

DISCOURS

Sur la Poefie en général, & fur l'Ode en particulier.

A fu

Vant que de parler de l'Ode, qui paroît ici mon premier

jet, j'ai crû devoir dire un mot de la Poéfie en géneral, pour lui reconcilier ceux qui font trop prévenus contre elle, & les convaincre du moins, qu'elle n'eft pas toûjours dangereufe. J'expoferai enfuite mes conjectures fur l'ode & fur les beautés qui lui conviennent. J'examinerai cet entouziafme, ce beau défordre qu'on exige fur tout dans l'ode héroïque, & méme le fublime qui en doit être toûjours l'objet; & enfin comme une partie de cet ou

B

vrage confifte en des imitations des anciens poëtes liriques, j'en prendrai occafion de dire un mot de leur caractere; à quoi je n'ajoûterai que quelques réfléxions fur les poëtes. françois qui ont travaillé dans le même genre, voilà tout l'ordre que je me fuis propofé dans ce dif

Cours.

Au refte j'y prens la liberté de dire ce que je penfe. Il feroit à fouhaitter que chacun en usât de même. Aprés quelques contradictions qui en naîtroient, les fentimens raifonables prendroient toûjours le deffus; au lieu qu'un refpect outré pour les opinions établies, ne fert qu'à en éternifer les erreurs.

LA POESIE a eu de tout tems fes cenfeurs & fes panégiriftes. Les uns ont crû qu'elle n'étoit propre qu'à corrompre l'efprit; les autres qu'elle avoit pour fin de l'instruire: mais les uns & les autres, au lieu de l'examiner en elle même, fe long

fondez fur l'ufage different que les hommes en ont fait.

Ses panégiriftes citent la morale & les folides inftructions qui font répandues dans les poëtes; ils s'appuïent des odes de Pindare, & même de ces cantiques divins que les ecrivains facrez nous ont laiffez fur la grandeur & les bienfaits de Dieu.

[ocr errors]

Ses cenfeurs fe recrient au contraire fur les fauffes idées que les poëtes fe font formées de la vertu fur les couleurs qu'ils donnent aux vices, & fur les fables extravagantes: qu'ils ont débitées des Dieux.

Tout cela n'est point la poëfie; & cette maniere d'en juger, est une fource infinie de contradictions. Il n'y a qu'à établir précisement en quoi elle confifte, & regler ensuite la deffus le jugement qu'on en doit faire.

Elle n'étoit d'abord différente du difcours libre & ordinaire, que par

un arrangement mefuré des paroles, qui flatta l'oreille à mesure qu'il fe perfectionna. La fiction furvint bien-tôt avec les figures; j'entens les Figures hardies, & telles que l'éloquence n'oferoit les employer. Voilà, je croi, tout ce qu'il y a d'effentiel à la poésie.

C'est d'abord un préjugé contre elle que cette fingularité, car le but du difcours n'étant que de fe faire entendre, il ne paroît pas raifonable de s'impofer une contrainte qui nuit fouvent à ce deffein, & qui exige beaucoup plus de temps pour y reduire fa penfée, qu'il n'en fau droit pour fuivre fimplement l'or

dre naturel de fes idées.

La Fiction eft encore un détour qu'on pourroit croire inutile; car pourquoi ne pas dire à la lettre ce qu'on veut dire, au lieu de ne prefenter une chofe, que pour fervir d'occafion à en faire penfer une au

tre.

Pour les Figures, ceux qui ne cherchent que la vérité, ne leur font pas favorables; & ils les regardent comme des pieges que l'on tend à l'efprit pour le léduire.

C'eft fur ces principes que les anciens philofophes ont condamné la poësie. Cependant malgré tous ces préjugés, elle n'a rien de mauvais que l'abus qu'on en peut faire, ce qui fui eft commun avec l'éloquence. On voit feulement que fon unique fin eft de plaire. Le nombre & la cadence charouillent l'oreille; la fiction flatte l'imagination; & les paffions font excitées par les figu

res.

Ceux qui fe fervent de ces avantages pour enfeigner la vertu, lui gagnent plus sûrement les cœurs, à la faveur du plaifir; comme ceux qui s'en fervent pour le vice, en augmentent encore la contagion par l'agrement du difcours.

Mais ce choix ne tombe point

« AnteriorContinuar »