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fur la poéfie; il caracterise seulement les différens poëtes, & non pas leur art, qui de lui-même eft indifferent au bien & au mal.

Il est vrai que comme cet art de mande beaucoup d'imagination, & que c'eft ce caractere d'efprit qui détermine le plus fouvent à s'y appliquer, on ne suppose pas aux poëtes un jugement sûr, qui ne fe rencontre guéres avec une imagination dominante. Et en effet les beautés les

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plus fréquentes des poëtes confiftent en des images vives & détaillées au lieu que les raifonnemens y font: rares, & prefque toûjours fuperficiels.

Ils ont laiffé le dogmatique auxphilofophes, & ils s'en font tenus à l'imitation; contens de l'avantage de plaire, tandis que les autres afpiroient à l'honeur d'inftruire.

Je fçai que de grands hommes ont fuppofé à prefque tous les genres. de poéfie des vûës plus hautes &

plus folides; ils ont crû que le bur du poëme épique étoit de convaincre l'efprit d'une verité importante, que la fin de la tragedie étoit de purger les paffions & celle de la comedie de corriger les mœurs. Je croi cependant, avec le refpect que nous devons à nos maîtres, que le but de tous ces ouvrages n'a été que de plaire par l'imitation.

Soit que l'imitation, en multipliant en quelque forte les évenemens & les objets, fatisfaffe en partie la curiofité humaine, foit qu'en excitant les paffions, elle tire l'homme de cet ennui qui le faifit toûjours dés qu'il eft trop à lui-même, foit qu'elle infpire de l'admiration pour celui qui imite; foit qu'elle occupe agréablement par la comparaifon de l'objet même avec l'image, foit enfin, comme je le croi, que toutes ces caufes fe joignent & agiffent d'intelligence; l'efprit humain n'y trouve que trop de charmes, & il s'eft fait de

tout temps des plaisirs conformes à ce goût qui naît avec lui.

Les poëtes ont fenti ce penchant en eux-mêmes, & l'ont remarqué dans les autres. Ainfi certains de plaire en s'y abandonnant, ils ont imité des évenemens & des objets, ce que leur humeur particuliére leur en a fait juger le plus agreable.

Les imaginations tranquiles & touchées des agrémens de la vie champêtre, ont inventé la poëfie paftorale. Les imaginations vives & turbulentes qui ont trouvé de la grandeur dans les exploits militaires & dans la fortune des états ont donné naiffance au poëme épique.

C'eft d'une humeur trifte & compatiffante aux malheurs des hommes que nous eft venue la Tragé die, comme au contraire, c'eft d'une humeur enjouée, maligne, ou peutêtre un peu philofophique, que font nées la Comédie & la Satire. Mais

encore

encore une fois, dans tous ces differens ouvrages, je pense qu'on n'a eu communément d'autre deffein que de plaire, & que s'il s'y trouve quelque inftruction, elle n'y est qu'à titre d'ornement.

On a prétendu prouver qu'Homére s'étoit propofè d'inftruire dans fes deux poëmes; que l'Iliade ne tendoit qu'à établir que la difcorde ruïne les meilleurs affaires ; & que l'Odiffée faifoit voir combien la préfence d'un Prince eft neceffaire dans fes états. Mais ces verités fe fentent peut-être mieux dans la fimple expofition que j'en fais, que dans l'Iliade & l'Odiffée entières, où elles me paroiffent noyées dans une varieté infinie d'évenemens & d'images.

Je fuis contraire en cela, à des auteurs d'un fi grand poids, que je n'expose mon fentiment qu'avec défiance, quoique j'aye Platon pour moi. Il banniffoit Homére & tous

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les poëtes de fa république; Pithagore même ne lui pouvoit pardon. ner non plus qu'à Héfiode, d'avoir parlé indignement des Dieux; & ik les croyoit éternellement punis dans le Tartare. Si les apologistes du poëme épique avoient raifon, Homêre eût dû tenir le premier rang dans les vûës de Platon; mais ce philofophe ne trouva dans la poëfię qu'un plaifir fouvent dangereux, & il crut que la morale y étoit tellement fubordonnée à l'agrément, qu'on n'en devoit attendre aucune utilité pour les mœurs.

Pour moi j'avoue que je ne regarde point les poëmes d'Homére comme des ouvrages de morale, mais feulement comme des ouvrages où l'auteur s'eft propofé particulié, rement de plaire; excellents dans leur genre, par rapport aux circonftances où ils ont efté faits, comme la fource de la fable & de toutes les idées poëtiques, en un mot, com

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