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me des chef-d'œuvres d'imagination, remplis de faillies heureuses & d'une éloquence vive, où les grecs & les latins ont puifé, & que les modernes fe font encore honneur d'imiter.

Voilà ce que je pense auffi à proportion de la plupart des ouvrages de poësie qui nous font restés. Les auteurs y ont voulu plaire, & ils ont atteint leur but. Ce n'eft pas que dans ces fortes d'ouvrages on ne pur mettre le vice & la vertu dans tout leur jour, & infpirer ainfi pour l'un & pour l'autre l'amour ou la haine qu'ils meritent; mais les poëtes ont eu rarement cette attention. Au lieu de fonger à réformer les fauffes idées des hommes, ils y ont la plufpart accommodé leurs fictions, & fur ce principe ils ont donné souvent de grands vices pour des vertus, contens de décrier les penchants les plus honteux & les paffions les plus groffieres.

Mais enfin quelque ufage qu'on

ait fait communément de la poëfie, elle n'en eft pas moins indifferente en elle-même, & il dépendra toûjours d'un auteur vertueux de la rendre utile. Ainfi Ménandre réduifit à une peinture innocente des mœurs, la Comédie où regnoit auparavant la médifance. Ainfi Virgile le fage imitateur d'Homére, foûtint mieux que lui la majesté des Dieux, & imagina un Héros, je ne dis pas plus agréable, mais plus digne d'imi, tation qu'Achille. Ainfi Pindare dans ce qui nous eft resté de lui, fit fervir à une faine morale, l'ode qui jufques-là avoit fervi souvent à la volupté & à la débauche,

Quelques perfonnes se scandalisent de cette indifférence où je laiffe la poësie. Ils la déterminent uniquement à inftruire, & fi on refufe de la confondre comme eux avec la philofophie, leur zéle ira bientost jufqu'à en faire la theologie la plus fublime. Voici leurs raifons; les pre

miers vers ont esté employez à la louange des Dieux. Les poètes ont esté les premiers philofophes. Je reçois volontiers ces faits, fans en admettre les confequences. On pouvoit louer les Dieux en profe, & fe fervir du langage ordinaire pour enfeigner la verité. Ces matieres ne font donc point effentielles à la poéfie qui n'eft par elle-même qu'un moyen de les rendre agréables. Les premiers théologiens comme les premiers philofophes ont eu raison de s'en fervir pour intereffer les hommes par l'agrément à ce qu'ils vouloient leur apprendre. Il eft toûjours certain qu'en tant que poëtes, ils ne fe font propofez que de plaire: les autres vûës qu'ils avoient, leur méritoient d'autres noms.

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On infifte, & l'on dit encore d'a prés les anciens, que la poéfie eft un art & que tout art a nécessaire ment une fin utile. Ce qu'il y a de clair dans cette propofition, c'eft

que

tous les arts ont une fin ; l'utile ; qu'on ajoûte ne fert qu'à rendre la propofition équivoque ; à moins que fous ce nom vague d'utile, on ne veüille auffi comprendre le plaifir qui est en effet un des plus grands befoins de l'homme.

Qui peut nier, par exemple, que la mufique ne foit un art; & qui cependant, s'il ne veut fubtilifer pourroit y trouver d'autre utilité que le plaifir? La peinture a auffi fes regles, quoiqu'elle ne tende qu'à flatter les fens par l'imitation de la nature. Les actions vertueufes qu'elle reprefente quelquefois, ne lui font pas plus propres que les licentieufes, qu'elle met auffi fouvent fous les yeux. Le Carache n'est pas moins peintre dans fes tableaux ciniques, que dans fes tableaux chrétiens ; & de mefme, pour revenir à la poésie, la Fontaine n'eft pas moins poëte dans fes contes, que dans fes fables; quoique les uns foient dangereux &

que les autres foient utiles. On dira peut-être que je ne pense pas affez noblement de mon art. Le mérite n'eft pas à penfer noblement des chofes mais à les voir comme elles font, fans fetes affoiblir, ni fe les exagerer. Je ne cherche à faire honneur à mon art, qu'en l'employant à mettre en jour la verité & la vertu. C'est ce que je me fuis propofé dans ces odes: fur tout, dans celles où l'imitation ne m'a pas fait violence.

Ceux qui ont pris parti pour l'ode & qui lui donnent le premier rang dans la poésie, s'imaginent qu'elle ne doit chanter que les louanges des Dieux & des Héros; & ils tirent de ces fujets mêmes à quoi ils la bornent, une preuve de fa dignité.

Mais il faut convenir que cette idée n'a point de fondement folide: elle vient fans doute, comme mille autres erreurs fur les ouvrages d'efprit, de ce qu'on a pris pour l'ef

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