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Télegance du langage ordinaire, fans y laiffer fentir d'étude ni d'af fectation.

res,

Les poëtes tragiques même qui s'abandonnent quelquefois à l'enflure, doivent toûjours eftre en garde contre l'excés de l'expreffion. Comme ils ne font point parler des poëmais des hommes ordinaires, ils ne doivent qu'exprimer les fentimens qui conviennent à leurs auteurs; & prendre pour cela les tours & les termes que la paffion offre le plus naturellement. Racine n'a prefque jamais paffé ces bornes, que dans quelques descriptions où il affecté d'être poëte, comme dans celle de la mort d'Hippolite, où l'on croit plûtôt entendre l'auteur que le perfonnage qu'il fait parler. Corneille fort auffi quelquefois de cette vrai-semblance, fur tout dans ce qu'il a imité de Lucain. On voit bien à plus forte raifon, que le poëte co mique & le pastoral doivent se ré

duire à une naïveté élegante, & mettre tout leur mérite dans l'exactitude de l'imitation.

Mais les poëtes liriques, j'entens les auteurs des odes, peuvent & doivent même étaler toutes les richeffes de la poëfie. Ils peuvent, fans nuire néanmoins à la clarté, parler autrement que le commun des hommes; & pourvû que le fens foit fort, & que les images foient vives, proportion de la hardieffe du langage; ils auront d'autant plus atteint la perfection de leur art, qu'ils auront plus heureusement hazardé. Ce vers de Racine,

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Le flot qui l'apporta, récule épouvanté. eft exceffif dans la bouche de Théramene.Oneft choqué de voir un homme accablé de douleur, fi recherché dans fes termes, & fi attentif à fa defcription, mais ce même vers feroit beau dans une ode, parce que c'est le poëte qui y parle, qu'il y

fait profeffion de peindre, qu'on ne lui fuppofe point de paffion violente, qui partage fon attention, & qu'on fent bien enfin, quand il fe fert d'une expreffion outrée, qu'il le fait à deffein, pour fuppléer par l'exageration de l'image, à l'abfence de la chose même.

C'est ici le lieu d'examiner quel eft & quel doit eftre cet entouziafme dont on fait tant d'honneur aux poétes, & qui doit faire en effet une des plus grandes beautés de l'ode.

On fçait qu'entouziafme ne fignifie autre chofe qu'infpiration; & c'eft un terme qu'on applique aux poëtes, par comparaifon de leur imagination échauffée avec la fureur des Prêtres, lorfque leur Dieu les agitoit, & qu'ils prononçoient les oracles.

Voilà donc précisément l'idée de l'entouziafme, c'eft une chaleur d'imagination qu'on excite en foi, & à laquelle on s'abandonne; fource

de beautez & de défauts, felon qu'elle eft aveugle ou éclairée. Mais c'est le plus fouvent un beau nom qu'on donne à ce qui eft le moins raisonnable.

On a paffé fous ce nom- là beaucoup d'obscurités & de contretems. On faifoit grace aux chofes en faveur des expreffions & des maniéres; mais ce n'est pas toûjours par cette fougue, que les auteurs font le plus dignes d'imitation. Entouziafme tant qu'on voudra, il faut qu'il foit toûjours guidé par la raison, & que le poëte le plus échaufé fe rappelle fouvent à foi, pour juger fainement de ce que fon imagination lui offre.

Un entouziasme trop dominant reffemble à ces yvreffes qui mettent un homme hors de lui, qui l'égarent en mille images bizarres & fans fuite, dont il ne fe fouvient point quand la raison a repris le deffus. Au contraire, un entouziasme réglé est comme ces

douces

douces vapeurs, qui ne portent qu'affez d'efprits au cerveau pour rendre l'imagination féconde, & qui laiffent toujours le jugement en état de faire, de fes faillies, un choix judicieux & agréable.

La plufpart de ceux qui parlent de Pentouziafme, en parlent comme s'ils étoient eux-mêmes dans le trou, ble qu'ils veulent définir. Ce ne font que grands mots, de fureur divine de tranfports de l'ame, de mouvemens, de lumieres, qui mis bout à bout dans des phrafes pompeufes, ne produisent pourtant aucune idée difincte. Si on les en croit, l'effence de l'eutouziasme est de ne pouvoir être compris que par les efprits du premier ordre, à la tête defquels ils fe fuppofent, & dont ils excluent tous ceux qui ofent ne les pas entendre. Voilà pourtant tout le miftere, une imagination échauffée. Si elle l'eft avec excez, on extravague; fi elle l'eft moderement, le jugement y

D

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