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ce qui eft familier à l'efprit, n'y fçauroit plus faire qu'une impreffion languiffante. Il eft vrai qu'en remontant au tems & aux circonftances, où une chofe fublime a été dite, on reconnoit bien qu'elle a dû étonner alors; & on l'admire foi-même, en la regardant dans fon origine; mais l'imitateur qui la repette, ne peut plus que furprendre l'eftime de ceux qui l'ignorent, & qui prennent fa mémoire pour du génie,

La plupart des écrivains devroient rechercher un peu plus la nouveauté, au péril de donner moins d'ouvrages. Ils pensent que pour copier ce qu'ont dit de grands hommes, ils font eux-mêmes de grands hommes. Mais le public ne s'y trompe pas comme eux, & il fçait méprifer des auteurs qui ne lui difent que ce qu'il a cent fois admiré.

Qu'on ne dife pas qu'il n'y a plus de pensées nouvelles, & que depuis que l'on penfe, l'efprit humain a

imaginé tout ce qui fe peut dire. Je trouverois auffi raisonnable de croire que la nature s'eft épuifée fur la différence des vifages, & qu'il ne peut plus naître d'homme à l'avenir qui ne reffemble précisément à quelqu'autre qui ait été. L'experience ne prouve que trop qu'avec cette reffemblance genérale que les hommes conserveront toûjours entr'eux, ils ne laifferont pas d'avoir des differences confidérables. Je croi de même que nos pensées, quoiqu'elles roulent toutes fur des idées qui nous font communes, peuvent cependant par leurs circonftances, leur tour & leur application particuliére, avoir à l'infini quelquê chose d'original.

Les grandes idées font encore ef fentielles au fublime ; car ce n'eft pas affez qu'il plaife, il doit élever l'efprit, & c'eft précisément cet effet qui le caractérise. Il faut donc de grands objets & des fentimens

extraordinaires. La defcription d'un hameau peut bien plaire par la naïveté & la grace; mais Neptune calmant d'un mot les flots irritez, Jupiter faisant trembler les Dieux d'un clin d'œil, ce n'eft qu'à de pareilles images qu'il appartient d'étonner & d'élever l'imagination. Pour les fentimens, on peut bien être tou ché des plus foibles & de ceux qui nous font les plus familiers; mais nous n'admirons que ceux qui font au deffus des foibleffes communes. & qui par une certaine grandeur d'ame qu'ils nous communiquent, augmentent en nous l'idée de notre propre excellence.

Au refte, comme je l'ai dit, c'est à l'élegance & à la précision à mettre le fublime dans tout fon jour. C'est même quelquefois la brieveté qui fait la plus grande force des traits qui paffent pour merveilleux; & il ne faut au contraire qu'un mot fuperflu pour énerver la pensée la

plus vive, & la dégrader du subli

me.

Les poëtes liriques doivent se faire une loi de cette précision. Le stile diffus peut convenir aux orateurs; il leur eft permis d'étendre leurs raifons, & de les offrir fous diverfes faces, pour fuppléer par cette abondance à ce qui peut échapper aux auditeurs. On le doit paffer quelquefois par la même raison aux poëtes de théatre, qui peuvent encore par ce moyen prolonger des mouvemens &des paffions agréables. Mais il n'en eft pas de même des odes. Le poéte y doit compter fur toute l'attention du lecteur, & tâcher toûjours d'exercer fon efprit par un grand fens, que la fuperfluité des mots ne faffe pas languir.

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Que vous ayez reveillé quelque idée, ou quelque image; fi ce que vous ajoûtez, ne produit pas un nouvel effet, l'efprit du lecteur tom. be auffi-tôt dans l'inaction, & fon LOR E iiij

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oreille même n'eft plus flattée de ce qu'il fent d'oifif dans votre ouvrage.

Les épithètes dans les poëtes médiocres contribuent beaucoup à cette lâcheté de stile; comme elles font aux bons auteurs un moyen de force & de précision. En effet, rien n'abrege tant le discours, & ne multiplie tant le fens, qu'une épithéte bien choifie : elle tient lieu prefque toûjours d'une phrase entiere; elle fait une impreffion vive & inatenduë; & outre l'agrement de la brieveté, quelques lecteurs fentent encore, ce qui fait une partie de leur plaifir, la peine & le merite qu'il y a de s'exprimer auffi heureusement malgré toute la contrainte des vers.

Je fçai bien qu'en outrant cette brieveté, on devient néceffairement obfcur, & qu'un poëte tombe d'autant plus aisément dans ce défaut, que ce qu'il a dit, réveillant en lui l'idée de ce qu'il a voulu dire, il

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