Imágenes de páginas
PDF
EPUB

toûjours accompagnez d'un agrément qui ne contribue pas peu à les faire goûter. Enfin Horace a pref que traité tous les fujets, toûjours d'une maniere nouvelle, avec des figures & des expreffions également heureuses & hardies.

J'ai ofé traduire quelques-unes de fes odes, où je ferai demeuré fans doute fort au deffous de mon original; mais comme il n'y en a point encore de traduction publique en vers françois, qu'il n'en a couru de temps en temps dans le monde que de fimples imitations, & même la plupart en vers irréguliers, je me fuis encore laiffé gagner à la nouveauté.

J'ai donc traduit cinq de fes odes en strophes régulieres, où jai tâché de rendre toutes les idées, prefque toûjours dans le même nombre de vers, qu'elles font renduës dans l'o riginal. J'ai étendu quelquefois fes fables & fait entrer, pour ains

dire, le commentaire dans le texte; parce que ce qui s'entendoit à demi mot du tems d'Horace, n'eft pas aujourd'hui auffi connu ; & il me femble que dans une traduction où l'on veut plaire, le traducteur doit fuppléer ainfi à la distance des tems, & tâcher toûjours de rendre l'équi• valent, auffi bien pour les faits que pour les pensées.

C'est par cette raifon que je n'ai pas traduit litteralement l'endroit de l'ode à Mécénas, où Horace parle des Lapithes, de l'yvreffe d'Hilée & de la revolte des Géans. J'ai fuivi une excellente remarque de Monfieur Dacier.Il prétend que toutes ces fables qu'Horace raffemble ne font qu'une allufion aux guerres civiles, à la défaite d'Antoine & aux victoires d'Augufte, fans quoi le Poëte n'auroit pas eu raifon de confondre ces fables avec des évenemens de la Republique, & de les proposer ensemble à Mécenas com

me le fujet de fon hiftoire. Le fens caché d'Horace s'entendoit aifément par les Romains, & ce détour même rendoit la loüange beaucoup plus délicate, & faifoit une veritable beauté; mais aujourd'hui il n'y a plus dans les paroles d'Horace que l'apparence d'un contretemps; ainfi j'ai cru devoir mettre à la place de l'allufion les choses qu'elle faifoit penser, afin de rendre ma traduction auffi claire que l'ode pouvoit l'eftre du tems d'Ho

race.

J'ai pris encore en quelqu'autre endroit la liberté de changer le tour & prefque la penfée d'Horace, pour un fens qui m'a paru plus agréable. Voilà un aveu un peu téméraire ; mais on nous doit pardonner ces hardieffes, pourvû qu'elles ne foient pasfréquentes. Rien ne refroidit tant le genie qu'un refpect fuperftitieux: pour l'original. Il eft caufe ordinai. rement qu'un traducteur idolâtre,

[ocr errors]

pour vouloir rendre trop exactement toutes les beautez de fon auteur, n'en rend en effet aucune; car il eft impoffible, fur tout en vers que toutes les circonftances d'une pensée paffent avec un bonheur égal d'une langue dans une autre. Il faut opter. On doit quelquefois négliger les mots les moins importans, pour encherir, s'il fe peut, fur les effentiels, afin de rendre par ces compenfations, plûtôt le génie & l'agrément général, que le détail fcrupuleux, des phrases toûjours languiffant & fans grace. C'eft par-là qu'un traducteur peut-être excellent; c'eft par- là qu'un lecteur équitable doit juger de fon mérite.

Il m'a parû, en examinant les odes d'Horace, qu'il ne connoifsoit pas non plus que les Grecs fes modeles, ou pour mieux dire, qu'il negligeoit auffi-bien qu'eux un art que les liriques modernes ont obfervé & dont ils ont abufé même affez

fouvent; c'est d'arranger tellement fes pensées dans chaque ftrophe, qu'il y ait une gradation de fens & qu'elles finiffent toûjours par ce qu'il ya de plus vif, & de plus ingé

nieux.

L'abus de cette méthode a produit les pointes, où l'on ne cherchoit qu'à furprendre & à ébloüir l'efprit; mais auffi en la négligeant, on perd un des plus sûrs moyens de plaire. Une bonne chofe ne le paroît prefque pas aprés une meilleure, au lieu qu'en changeant d'ordre, elles font l'une & l'autre leur impreffion: & l'efprit parvenu ainsi par degré à un fens complet & digne de fon attention, fe repofe naturellement avant que de paffer à un

autre.

C'est ce repos que suppose la séparation des ftrophes ; & l'on comprend affez par là qu'il y faut autant que l'on peut, & fans préjudi

ce du bon fens, ménager une efpe

« AnteriorContinuar »