Mon œil à ces objets s'attache, Curieux malgré fon effroi ;
Mais de Minos qui m'en arrache, Subiffons l'équitable loi.
Laiffe des tourmens trop célébres, Dit-il, à travers ces tenebres, Jette un plus utile regard,
Et dans nos prifons foûterraines, Vois avec fruit de quelles peines On punit l'abus de ton art.
D'abord me frappent les fupplices Deftinés aux lâches Auteurs,
Qui rendent les Muses complices De leurs libéles impofteurs : Je vois Archiloque à leur tête; D'un arc que Néméfis aprête, S'arme cet effain malheureux; Et leurs mains toûjours imprudentes Décochent des fléches ardentes Qui retombent toutes fur eux.
J'entens les chaînes vangereffes De ces fourbes ingénieux,
Qui de couleurs enchantereffes Ont fardé le vice à nos yeux : Je vois ces corrupteurs infignes, Qui des Princes les plus indignes Furent les flatteurs affidus; De Megere juftes victimes, Sur eux elle punit les crimes Dont ils leur firent des vertus,
Voici la foule téméraire De ces imitateurs groffiers, Dont jadis le front plagiaire Se paroit d'injuftes lauriers; Digne prix de leur imposture, Ils ont à jamais pour torture, L'art même qu'ils ont avili ; Livrés à la fureur d'écrire
Des vers que le Mépris déchire, Ou qu'efface auffi-tôt l'Oubli,
Quelle eft cette troupe allarmée ? J'y connois ces jaloux efprits, Qui vouloient que la Renommée Nepubliât que leurs écrits: Un éternel fouci les ronge; Toûjours quelque funeste songe Couronne à leurs yeux leurs rivaux ; Et de la lire que je touche,
Le moindre fon les effarouche,
Et femble un furcroit à leurs maux.
Des coupables & des Furies Le féjour m'atrop arrêté : On me guide aux plaines chéries Qu'enceint le paifible Léthé. Quels font ces aftres que j'ignore? Quelle eft cette nouvelle Flore, Que careffe un Zéphir flatteur ? Encor effrayé du Cocyte, Des lieux que le repos habite, L'afpect feul a calmé mon cœur.
Hors des atteintes de l'envie, Le fort qu'on goûte en ces climats, N'eft plus, ainfi que notre vie, La trifte attente du trépass Jouïffant de tout ce qu'il aime Chacun porte le plaifir même Peint fur un visage riant; Et les cœurs fermez à la plainte, Ignorent l'inquiéte crainte, Et le defir impatient.
Les Rois qu'aprés leur mort on louë, Les Héros, d'eux-mêmes vainqueurs, Les Juges que Thémis avouë,
Les Grands, humbles maiftres des cœurs, Le Pere des fiens le modele, L'époufe foûmife & fidelle, Le fils digne de leur amour; Enfin les généreux Poëtes, Des vertus fleuris interpretes, Sont le peuple de ce féjour,
Tout difparoît, & cet empire Comme un fonge s'est effacé. Aux lieux où j'ai monté ma lire Quel Dieu m'a foudain replacé ? Mortels, ma voix vous encourage, Pour mériter ce doux partage, Du vice rompez les liens.
Un cœur dont le Devoir eft maître ; Heureux en méritant de l'être,
Goûte d'avance tous les biens.
Mais des louanges faftueufes Ne mandiez point le tribut; Que des actions vertueufes La vertu foit l'unique but Que fert la fuperbe apparence? Ce n'est qu'à l'exacte innocence, Que l'heureux Elifée est dû Et Minos à qui rien n'impose, Au mépris de l'apothéose, Punit plus d'un Dieu prétendu.
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