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leur donner des leçons! Près de livrer une bataille, il charge le duc de Choifeul, fils du maréchal Dupleffis - Praflin, d'aller occuper un pofte qu'il lui indique. Le jeune feigneur néglige de s'en affurer, croyant n'avoir rien à craindre de ce côté-là. Monfieur, monfieur, lui dit le général, je vous en prie, faites ce que je vous dis; c'est pour avoir omis une femblable précaution que j'ai été battu ǎ Rhetel par M. le maréchal votre pere. Ce mot qui fe répétoit de bouche en bouche, préparoit mieux à un combat que toutes les belles harangues de Tite-Live; d'ailleurs comment en eût-il fait il étoit bégue.

Une ville entiere éprouva fa délicateffe & fon défintéreffement; elle lui offroit cent mille écus pour qu'il ne pafsât pas fur fon territoire. Comme votre ville, dit-il aux députés, n'eft point fur la route où j'ai réfolu de faire marcher l'armée, je ne puis pas en confcience prendre l'argent que vous m'offrez. Les Ariftide, les Epaminondas -avoient-ils plus de grandeur d'ame? Il n'est pas poffible que leurs mœurs domeftiques aient été plus fimples. Plutarque eût voulu avoir à écrire ce trait fi touchant.

Un jour d'été qu'il faifoit fort chaud, le vicomte de Turenne en petite vefte blanche & en bonnet étoit à la fenêtre de fon antichambre. Un de fes gens survient, & trompé

par l'habillement le prend pour un aide de cuifine, avec lequel le domeftique étoit trèsfamilier. Il s'approche doucement par, der-, riere, & d'une main qui n'étoit pas légere lui applique un grand coup fur les feffes. L'homme frappé fe retourne à l'inftant. Le valet voit en frémiffant le vifage de fon, maître; il se jette à genoux tout éperdu.

Monfeigneur, j'ai cru que c'étoit George: Et quand ç'eût été George, s'écrie Ťurenne en fe frottant le derriere, il ne falloit pas frapper fi fort.

Ce fang-froid, Turenne le confervoit & dans les batailles & dans les confeils. Partout il fut fenfible, compatiffant. Guerrier tutélaire, une difcipline févere protégeoit le vaincu. On ne doit point lui imputer les incendies du Palatinat; c'est à l'inflexible Louvois qu'il devoit renvoyer le cartel de l'électeur de Baviere, qui demandoit raison, l'épée à la main, au général du faccagement de fes foldats. Dans fa tente fe dreffoient les mémoires & les traités; c'est de-là qu'il faisoit à Louvois la leçon, quand ce miniftre paroiffoit lui donner des ordres. Il faut lire leur correfpondance pour connoître la jaloufie & la fierté de ce Louvois, à qui il en coûtoit tant de l'appeler monfeigneur.

Faut-il le dire? ce grand homme eut des foibleffes. Fier de fon nom, lui qui ne l'étoit pas de fon mérite, il affectoit de céder par◄

tout le pas à fon neveu, de lui donner même la ferviette à table, afin qu'on vît bien que cet enfant étoit le chef d'une maison fouveraine, & à foixante ans le fecret de l'état.... Etendons d'une main refpectueuse, en détournant les yeux, un voile épais fur des fautes que la douceur de fon ame doit expier.

Turenne mourut trop tôt pour la gloire des dernieres années de Louis XIV; il étoit prêt de cueillir le plus beau des lauriers, de procurer la paix à l'Europe.

Un boulet de canon enleva ce meilleur des hommes, qui ne s'étoit converti à la religion catholique que lorfqu'on ne pouvoit plus le foupçonner d'avoit changé de religion par ambition ou par intérêt. Son éloge fut fait fur le champ de bataille par SaintHilaire, qui expirant à fes côtés dit à son fils défolé: Ce n'eft pas moi qu'il faut pleurer. S'il y avoit quelque chofe à ajouter à ce panégyrique, ce feroit peut-être la bonne foi du fermier, qui demanda la réfiliation de fon bail, parce que Turenne mort on ne pouvoit plus ni femer ni moiffonner en sûreté.

Il fut également pleuré des foldats & des peuples honneur qu'aucun général n'avoit pas mérité depuis les beaux fiecles de la république romaine. Montécuculli quitta le commandement des armées, ne trouvant plus

fans

fans doute perfonne digne de lui qui avoit combattu Turenne. On fit une promotion de fept maréchaux de France, qu'une femme d'efprit appeloit la monnoie de Tu

renne.

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Comme il avoit foutenu la couronne, il fut enterré à Saint-Denis avec ceux qui l'ont portée.

L'épitaphe de cet homme fi grand, fi vaillant & fi humain, fi heureux & fi fage auquel l'antiquité pourroit tout au plus oppofer Scipion & Céfar, fi le premier avoit été plus modefte & le fecond moins ambitieux, cette épitaphe ne fe trouve plus que dans les livres. Seroit-ce vrai ce que m'a dit à Saint-Denis le facriftain qui me montra fa chapelle? Sur ce marbre noir étoit une infcription à la gloire du maréchal; Louis XIV fit retourner le marbre.

Ce n'eft qu'en 1781 que M. le cardinal de Rohan vifitant à Salsbach la place où Turenne fut tué, acheta ce terrein pour y élever une pyramide entourée de lauriers. Il y aura une maison avec un jardin pour l'invalide du régiment de Turenne qui montrera ce monument facré aux étrangers.

Tome III.

F

28 Juillet 1781. m.

LE MARQUIS DE COURTANVAUX,

Dr

ESCENDOIT de ce fier ministre qui

ne plioit pas

même sous Louis XIV.

Il fit fa premiere campagne à l'âge de quinze ans comme aide-de-camp du maréchal de Noailles fon oncle, & dans la guerre fuivante, il fervit comme colonel du régiment-royal pendant les campagnes de Bohême & de Baviere. Sa fanté l'obligea de quitter le fervice; il avoit bravé fans peine une mort glorieufe. Mais il ne crut pas devoir à sa patrie le facrifice inutile & obfcur des reftes d'une vie que les fatigues auroient bientôt

confumée.

Lorfque le repos eut rétabli fes forces il eut un ennemi terrible à combattre, le défœuvrement avec l'ennui qu'il traîne à fa fuite, & qui en eft pour ainfi dire la punition. Né avec le goût de la fimplicité & de l'indépendance, il ne trouvoit dans la fociété que de la gêne; les plaisirs de vanité attachés à une grande fortune n'étoient rien pour lui. Heureusement un goût naturel

pour fciences le fauva des défagrémens de la mauvaise éducation qu'il avoit reçue. Elles devinrent fon unique occupation. Comme il ne s'y livra que pour éviter l'oifiveté a

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