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La convalefcence d'une bonne mere dans une famille vertueuse est un jour de fête; & le fignal de la joie devroit toujours être un bienfait. Ecoute-moi, chrétien, dit le maître à son esclave en lui ferrant la main, ne nous affligeons plus, elle vit; tu as partagé ma douleur; que ne puis-je en reconnoiffance t'affocier à notre bonheur ! J'ai une fille qui pourroit m'acquitter: mais ta religion.. .... Ecoute, te dis-je, laiffe-moi achever, & ne m'interromps pas par des remercîmens que je ne mérite pas encore, & que je voudrois mériter. Il me reste un bien, le feul que je puiffe te donner, ta liberté. Sois libre; mais ce n'eft point affez pour moi. J'ai fait charger un vaiffeau de bled, il t'est destiné: embarque-toi, puisque la providence veut que tu me quittes; ne va pas les mains vuides rejoindre tes parens, foyez tous mes amis comme je fuis le

tien.

Cette fcene touchante & fublime entre des turcs & un françois, prouve que

Les amis de ce pays-là

Valoient bien pour lors ceux du nôtre.

Compian, le cœur rempli des procédés d'un barbare, conferva avec lui jufqu'à la mort les relations les plus intimes, & ils éprouvoient tous deux le même fentiment, la crainte de fe furvivre.

Fixé dans la Provence, Compian con→ vaincu qu'il y a d'autre reffource pour les petits que de fervir les grands, embrassa la profeffion la plus noble, puifqu'elle eft la plus indépendante. Négociant indufttieux & loyal, il travailla pour fa patrie & pour lui. Pendant que la contagion dépeuploit Mar- · feille, lorfque la famine condamnoit les habitans à fe manger peut-être les uns les autres, un vaiffeau lui arrive chargé de bled. Les échevins, qui par état s'intéreffent éga lement au fort de tous les citoyens, pour en être les diftributeurs économes, lui offrent 6. liv. du feptier. - A Dieu ne plaife que j'abuse de l'état où nous fommes; je n'ai pas fpéculé en conféquence, le prix de 30 Îiv. fuffit pour ce que j'ai dépenfé; & alors on le vit le diftribuer lui-même affrontant de maison en maison un danger beaucoup plus grand que celui où l'on eft expofé à l'attaque d'un chemin ouvert. Il fauva les triftes reftes de la peste par l'ardeur du zele le plus attendriffant, & par l'excès d'une intrépidité qui vaut bien celle des héros.

M. Compian n'avoit pas toujours befoin de ces circonftances publiques pour développer fon ame. Sa conduite privée étoit toujours celle d'un homme de bien; méprifant également & les riches qui n'ont qu'une bonne table & les pauvres qui n'ont que de l'appétit, il vouloit que chacun payât fa dette à la

fociété par des fervices. S'il eut des ennemis, c'eft qu'il eft difficile d'eftimer les hommes ce qu'ils voudroient l'être, & il les apprécioit avec autant de jufteffe que de franchife. Au refte, il fe jugeoit lui-même avec la même févérité, fe confolant de n'avoir pas les grands talens, comme on fe confole de n'avoir pas les grandes places. N'étoit-il pas au-deffus de tout cela par le cœur?

On croiroit que M. Compian avoit fait fon épitaphe de bonne heure, qu'il l'avoit faite la plus flatteufe qu'il étoit poffible, & qu'il employât toute fa vie à la mériter.

7 Juillet 1700.

CLAUDE DE GRUEL.

ORIGINAIRE de Bretagne, il defcendoit de ce Raoul Gruel, qu'on peut dire avoir été un des reftaurateurs de la famille royale & du nom françois. L'anglois régnoit dans Paris; ce fut ce Raoul Gruel, dont le zele ardent ne se laffa point, qui parvint enfin à toucher le cœur & à gagner l'efprit du duc de Bourgogne, & à lui faire figner en 1435 le traité d'Arras, par lequel l'anglois, privé du fecours de ce prince & abandonné à fes feules forces, fut bientôt chassé du royaume.

....

Claude. feigneur de la Frette, naquit dans ce fiecle des duels, où chacun fe donnoit à foi-même pour la moindre querelle la permiffion qu'on demandoit autrefois aux parlemens, aux évêques & aux rois, qui n'avoient pas même le droit de la donner. Les premieres nouvelles qu'on fe demandoit en fe rencontrant dans les rues ou dans les promenades étoient ; qui eft-ce qui fe battit hier? Savez-vous qui s'eft battu ce matin ? Cette frénéfie fut pouffée au point qu'il y avoit des compagnies de gendarmes dans lefquelles on ne recevoit perfonne qui ne fe fût battu au moins une fois, ou qui ne jurât de se battre dans l'année ce n'étoit pas là la bravoure des romains. Le défi des deux centurions, ennemis l'un de l'autre, étoit de montrer qui des deux feroit les plus belles actions dans la bataille, & le premier qui couvert de fang étoit terraffé dans la mêlée, fut fecouru par fon rival.

Le feigneur de la Frette connoiffoit cette maniere de fe venger. La Curée & lui s'étoient donné rendez-vous pour fe battre dans un endroit de la foret de Fontainebleau ; il arrive, & voit la Curée attaqué par quatre hommes. Il ne balance pas à le défendre, tue un des voleurs; les trois autres s'enfuirent. Je vous dois la vie, lui dit la Curée. Vous ne me devez rien; je n'ai fait pour vous que ce que vous auriez fait pour moi,

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& nous pouvons à présent vuider notre querelle. Je ne puis que vous embraffer, répliqua la Curée, ce brave de Henri IV, qui ne l'appeloit que mon cure.

Henri IV n'aimoit pas moins fon gouverneur de Chartres. Après la fanglante exécution du meilleur des rois, lorfque toutes fortes de perfonnes en foule dans l'églife de Saint-Paul paroiffoient déplorer la malheureufe deftinée du maréchal de Biron, le vainqueur, le pere des françois apprend qu'un de fes bons amis va tous les jours pleurer fur la tombe d'un maréchal de France qui s'étoit ligué avec la Savoie & l'Efpagne. Il lui en fit des reproches un peu amers. - Sire, cet infortuné m'aimoit ; fi j'ai rendu quelques fervices à votre majefté, fi j'ai acquis quelque réputation à la guerre, je la lui dois par les occafions qu'il me procuroit d'en acquérir: je ne ferois pas le maître de vous cacher ma douleur, je vais le pleurer dans mes terres. Le lendemain il quitta la cour.

Il étoit confeiller d'état, & l'on voit dans un recueil de différentes pieces de ce temps-là un mémoire qu'il avoit apparemment fait, lorfqu'il fut queftion de l'édit contre les duels. Il y a une idée qui, pour être finguliere, n'en eft pas moins jufte. Il prétend que les duels, par l'honneur prétendu qu'on y attache, peuvent beaucoup contribuer à la dépravation des mœurs: tel homme eft

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