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la maifon de l'artiste qui étoit mort. C'étoit publier les hommages & les regrets de la

nation.

10 Juillet 1709. n.

COURT DE GEBELIN,

NE de parens honnêtes; fon pere, pro

É

teftant fort éclairé, obligé par les conjonctures de quitter le royaume, fe rendit en Suiffe.

L'enfant y fut amené, & l'on obtint pour lui des lettres de naturalité. Il dut fa premiere éducation à celui même dont il tenoit le jour, & qui étoit devenu pafteur de Laufanne. Doué d'un efprit actif & précoce, d'une conception prompte, d'un jugement jufte, d'un difcernement exquis & d'une merveilleufe fagacité, il eut quelques organes qui furent lents à fe former, car à l'âge de fept ans il ne parloit prefque point encore.

:

Le defir de favoir l'anima de très-bonne heure. Souvent il interrogeoit, & la plupart de fes questions étonnoient fes maîtres, tant il y mettoit de raifon, d'ordre & de fubtilité.

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A douze ans, c'étoit un prodige; nonfeulement il avoit appris plufieurs langues il s'étoit rendu comme préfens tous les lieux de la terre par l'étude de la géographie ; il

connoiffoit les mœurs, les coutumes, le gou vernement & le génie de beaucoup de na tions dont il poffédoit très-bien les annales, mais encore il favoit le deffin & la mufique. La facilité qu'il avoit d'écrire auffi vîte que la parole le détermina à copier des livres rares que fa fortune ne lui permettoit pas d'acherer, jufqu'à des dictionnaires. Il s'étoit auffi tellement accoutumé à lire rapidement, d'œil il embraffoit des pages que d'un coup

entieres.

D'abord miniftre de l'Evangile, il aima mieux, tout favant qu'il étoit, s'occuper de l'éducation des enfans, auxquels il fraya une voie plus sûre & plus courte en créant des méthodes particulieres.

Après la mort de fon pere & celle de Chéfeaux, habile mathématicien dont l'amitié lui fut très-utile, il fit un voyage en Languedoc, où il céda généreusement à fa fœur le petit patrimoine qui lui restoit, ne fe réfervant que fes talens & l'efpérance. Paffant par Uzès, patrie de fa mere, il vit les poffeffions que dans fa fuite précipitée elle avoit été forcée d'abandonner, & qui étoient paffées dans des mains étrangeres: mais il les vit fans envie. On lui indiquoit les moyens de fe les faire reftituer. Je ne puis me réfoudre à dépofféder ceux qui font accoutumés à en jouir.

Gebelin vint à Paris, où l'accueillirent les

Quefnay, les Mirabeau, les la Riviere, les Roubaud, les Dupont; tous ces économistes enfin qui ont fixé les vrais principes de l'adminiftration publique. C'eft d'eux qu'il a pris fur l'agriculture des idées fublimes.

Envain fes amis veulent qu'il s'occupe de fa fortune la fortune eût exigé le facrifice de fes goûts, de fes fentimens, de fon caractere. Il lui en coûteroit trop pour devenir riche; qu'on lui ouvre les bibliotheques c'étoit-là fa feule ambition: il y paffoit tous fes jours. On l'a vu quelquefois y dîner avec du pain & un livre. Il lui fallut dix ans de retraite pour mûrir fes idées. Enfin un vaste plan eft conçu; la haute antiquité va être dévoilée.

Dès que le Monde primitif fut annoncé, il frappa les efprits par l'étendue des matieres qu'il embraffoit, & par la révolution des idées qu'il devoit produire. D'Alembert en fut fi étonné, que dans un tranfport d'enthoufiafme il demanda fi c'étoit une fociété de quarante hommes qui étoit chargée de l'exécuter. C'eft lui feul qui, devenu l'honime de tous les fiecles & de tous les peuples, a remonté par la force de la raifon vers le berceau de l'univers ; & defcendant d'âge en âge jufqu'à nos jours, a récréé la science par les principes fimples fur lefquels il l'a établie.

Pour appuyer l'entreprise aufli utile

que

difpendieufe de Gebelin, l'académie françoise lui décerna deux fois de fuite le prix qu'elle affigne à l'auteur qui durant l'année fait imprimer la production la plus eftimable.

Gebelin avoit de la douceur dans les mœurs, de la naïveté dans les procédés, de la candeur, de la franchise, de la bonhomie dans toute fa conduite; il parloit peu, parce qu'il penfoit beaucoup. Modefte dans la gloire, il fe déroboit aux hommages qu'on s'empreffoit de lui rendre. La folitude étoit une de fes plus douces fatisfactions; il ne chériffoit que les plaifirs tranquilles. Etant un jour à la table d'un de ces hommes ivres de luxe qui croient fuppléer par un faste éblouiffant au mérite qui leur manque, on fervit un mets précoce dont la nouveauté faifoit presque tout le prix: Eh quoi ! dit-il en le voyant, ne penfe-t-on pas pouvoir parvenir au temps de la faifon qui le rend

commun?

Sa fenfibilité étoit extrême; il fouffreit avec ceux qui fouffrent, & ne fortoit de cette déchirante fituation que quand on avoit appliqué à leur plaie un remede falutaire. Dans fes follicitations, il s'oublioit toujours; on étoit fi accoutumé à cet abandon de luimême, qu'un homme en place le voyant un jour entrer chez lui, prévint fa démarche en lui demandant quel étoit le malheureux dont il venoit plaider la caufe? Il apprend que

deux proteftans frappés par le glaive des loix gémiffoient depuis plus de quarante anpées fur le mobile élément des eaux dans les chaînes de la fervitude; il ne les connoît pas, mais leur titre de malheureux leur donne des droits à sa bienfaifance. Elevé audeffus de la timidité qui lui eft naturelle dans fes propres intérêts, il prie & fupplie en leur faveur; enfin fes vœux font remplis.

Un homme-de-lettres à qui Gebelin avoit été utile, lui témoignoit un grand defir de lui prouver fa reconnoiffance. Vous ne m'en devez pas; je vous fuis au contraire redevable du plaifir que vous m'avez procuré en vous obligeant.

Avec quel épanchement de cœur parlet-il dans fon ouvrage de deux refpectables amies qui avoient été l'appui de fes jours & le foutien de fes travaux, des vertueufes Linote & Fleuri ! L'une avoit appris la gravure pour l'aider & diminuer les frais immenfes de fon entreprife; plufieurs planches du Monde primitif font fon ouvrage : l'autre lui avança 5000 liv, quand il donna fon premier volume.

Gebelin aimoit à communiquer fes connoiffances, & fe proportionnoit à la foibleffe des perfonnes auxquelles il difpenfoit la lumiere. La république des lettres, difoit-il, n'eft point une arêne & nos plumes des inf

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