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Clovis fon fils & fon fucceffeur qu'un très-petit Royaume, compofé du Tournaifis & de quelques contrées adjacentes. Ce qui rendit le nouveau Roi des Saliens un Prince puiffant, ce fut que peu de tems après être monté fur le Thrône, on le revêtit de la dignité de l'Empire que fon pere avoit poffedée.

Clovis auffi prudent qu'il étoit ambitieux & brave, fçut fi bien profiter des troubles & des défordres de la Gaule, qu'en trente ans de regne il se rendit maître des deux tiers de ce riche pays, fans fe déclarer néanmoins ennemi de l'Empire. Il eft vrai qu'il commença fon aggrandiffement par faire la conquête du Soiffonnois, fur un Officier Romain qui s'en étoit rendu Seigneur. Mais l'expédition que Clovis fit en quatre cens quatre-vingt-fix contre Afranius Siagrius, (c'est le nom de cet Officier,) ne passa point parmi les Francs ni parmi les Romains pour une guerre de nation à nation, ni même pour un acte d'hoftilité contre l'Empire. Ceux des Francs qui n'étoient ni fujets, ni amis particuliers de Clovis, & ceux des Romains des Gaules qui ne reconnoiffoient pas le pouvoir de Siagrius, demeurerent neutres durant cette guerre, qu'ils regarderent comme une querelle particuliere. Si quatre ans après Clovis fe rendit entierement le maître du territoire que la ville de Tongres avoit pour lors, ce fut en obligeant les Barbares, qui depuis plufieurs années en occupoient la plus grande partie à fe foumettre à lui. Ce fut par voye de négociation que deux ans après, c'est-àdire vers l'année quatre cens quatre-vingt-douze, Clovis fit reconnoître fon pouvoir dans la partie des Gaules, qui eft entre la Somme & la Seine, & qui obéiffoit encore à l'Empereur dans le tems où l'Empire d'Occident avoit

été détruit.

B

En quatre cens quatre-vingt-feize, Clovis reçut le Baptême & la profession qu'il fit alors de la Religion Catholique, engagea les Armoriques, je veux dire les Provinces confédérées, à se soûmettre à fon autorité. Bientôt après ce qui reftoit de troupes Romaines dans les Gaules, lui prêta encore ferment de fidelité, & ces deux évenemens étendirent jusques à la Loire le pouvoir du Roi des Saliens. Si Clovis en cinq cens fept conquit à force d'armes les Provinces fituées entre ce fleuve & les Pyrenées, ce ne fut point fur l'Empire qu'il les conquit: Ce fut fur les Vifigots qui s'en étoient emparés, il y avoit déja près d'un fiecle. Ce fut même à la priere des Romains de ces Provinces, que le Prince dont je parle, entreprit fon expédition qui fut approuvée par l'Empereur, du moins après l'évenement. En effet, à peine étoit-elle finie, qu'Anaftafe Empereur d'Orient, mais dont l'autorité étoit reconnue dans les Gaules, confera au Roi Clovis la dignité de Conful, qui lui donnoit l'administration du pouvoir civil dans tous les lieux où il auroit l'adminiftration du pouvoir militaire. On fçait que Conftantin le grand avoit rendu ces deux pouvoirs incompatibles, & que depuis fon régne, les Empereurs ne confioient plus que l'un ou l'autre de ces pouvoirs à chacun des Officiers, qui dans les Provinces repréfentoient le Souverain. L'Officier qui exerçoit le pouvoir civil dans un département, n'y avoit aucune autorité fur les troupes ; & réciproquement l'Officier qui commandoit les troupes dans ce même département, ne pouvoit pas y prendre connoiffance des affaires de Police, de Finance & de Juftice. Mais le Confulat, la premiere des dignités que conferoient les Empereurs, réuniffoit l'un & l'autre pouvoir, parce qu'elle donnoit droit à ceux qui en étoient revêtus, de

commander dans tous les lieux où le Prince n'étoit pas, avec la même autorité que le Prince l'auroit fait lui-même, & par conséquent le droit de s'y faire obéir, & par les Officiers civils & par les Officiers militaires. Auffi Clovis ne manqua-t-il point à prendre poffeffion du confulat avec les ceremonies ordinaires, & dès-lors on s'adreffa au Roi des Saliens comme au Conful, comme on s'adreßoit auparavant à l'Empereur lui-même.

Les graces dont la nouvelle dignité de Clovis le rendoit maître de disposer, lui donnerent le moyen d'achever ce qui lui restoit à faire, pour régner paisiblement sur la partie des Gaules qu'il avoit déja foumise & pour soûmettre l'autre. C'étoit de fe faire Roi de toutes les Tribus des Francs, dont chacune avoit eu jusques-là son Roi particulier qui étoit bien allié, mais non pas fujet du Roi des Saliens. Clovis vint à bout de fe défaire de tous ces petits Souverains, & d'engager chacune des Tribus fur lefquelles ils regnoient à l'élire pour fon Roi. Ce Prince mourut néanmoins avant que de s'être rendu le maître de la partie des Gaules qui lui reftoit à foûmettre. Il n'avoit encore que quarante-cinq ans.

Les quatre fils de Clovis après avoir partagé son Royaume par égales portions, tinrent pour s'aggrandir la même route, par laquelle leur pere avoit marché. Ce ne fut point fur l'Empire, ce fut fur les Bourguignons que nos Princes conquirent la partie des Gaules renfermée entre la Durance, le Rhône, la Saone, le Rhin & les Alpes. Il y avoit près d'un fiecle que les Bourguignons l'avoient occupée fur l'Empire. Lorfque ces Rois des Francs fe mirent en poffeffion de la contrée qui s'étendoit depuis les limites du Royaume des Bourguignons jufqu'à la Mediterranée, ce fut en vertu de la ceffion que leur en firent les Oftro

gots qui tenoient ce pays-là depuis long-tems, & en vertu de l'abandonnement que ces mêmes Oftrogots leur firent encore de la prétention qu'ils avoient fur toutes les Gaules, fondée fur le Traité que leur Nation avoit fait vers l'année quatre cens foixante & quatorze avec Julius Népos Empereur d'Occident. Juftinien Empereur d'Orient, dans le tems que cette ceffion fut faite aux Francs, la confirma lui-même par un Diplome autentique, & il tranfporta par cet acte à la Monarchie Françoife tous les droits que la Monarchie Romaine pouvoit encore reclamer fur les Gaules.

Loin que ce qui nous eft connu de l'état ou de la condition des Romains des Gaules fous la domination de Clovis & fous celle de fes fucceffeurs, nous les représente comme une Nation opprimée sous le joug d'un Conquérant; au contraire, tout cela nous les représente comme une Nation qui s'est soumise volontairement aux Princes qui regnent fur elle. En effet, nous voyons que fous nos Rois Mérovingiens, les anciens habitans des Gaules, ceux qu'on y appelloit alors les Romains, joüiffoient en pleine proprieté de tous leurs biens, qu'il leur étoit permis de vivre fuivant le droit Romain, & qu'ils avoient part à toutes les dignités, même aux militaires.

Comment donc a-t-il pû fe faire que la verité soit difparue, & que l'erreur fe foit emparée, pour ainfi dire de nos Annales? Le voici. Nos Hiftoriens modernes, dont les ouvrages font entre les mains de tout le monde, & où l'on prend communément l'idée de la maniere dont la Monarchie Françoife s'eft établie, ont pris eux-mêmes l'idée qu'ils nous donnent de ce grand évenement dans ceux de nos Annalistes, qui ont écrit fous les premiers Rois de la troifiéme Race, & ces Annaliftes repréfentent l'établis

fement de notre Monarchie sous la forme d'une Conquête faite par une Nation fur une autre Nation. Comment eftil poffible, repliquera-t'on, que ces Annalistes qui ont vêcu dans un tems beaucoup plus voifin que le nôtre des commencemens de la Monarchie, se foient trompés au point de dépeindre sous la forme d'une Conquête faite à force ouverte, l'établissement d'un Royaume, dont les anciens & les nouveaux fujets auroient jetté de concert les fondemens? Quelques réflexions fur l'état où les Lettres ont été fous les deux premieres Races de nos Rois & fous les premiers Rois de la troifiéme Race, expliqueront comment une erreur si opposée à la verité, a pu neanmoins s'établir.

Tant que l'Empire d'Occident fubfifta, les Lettres fleurirent dans les Gaules, l'une de fes Provinces les plus polies. On verra même, par ce que je dirai dans la fuite de ce discours, au fujet des monumens litteraires, dont on peut fe fervir rétablir le commencement de notre pour Hiftoire, qu'il nous refte encore aujourd'hui un grand nombre d'écrits compofés dans les Gaules durant le cinquiéme fiecle, quoique nous n'ayons pas tous ceux qui furent faits dans ce tems-là. Mais dès que l'Empire d'Occident eut été détruit par les Barbares à la fin du cinquiéme fiecle, dès que lês Nations Germaniques se furent renduës entierement maîtreffes des Gaules, les Lettres commencerent à y être négligées. Voyons ce que dit à ce fujet Grégoire de Tours dans la Préface de fon Hiftoire qu'il compofa vers l'année cinq cens quatre-vingt-douze, & par conféquent environ cent ans après que les Gaules eurent paffé fous la domination des Francs. *

*Decedente atque imò pereunte culturâ litterarum, cum nonnullæ ab urbibus Gallicanis liberalium res gererentur vel rectè vel improbè

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