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Digefte, & pleins de refpect pour le nom Romain, que des bandes de Barbares effrénés qui avoient détruit l'Etat fondé par Romulus & par Numa au mépris des prédictions de Virgile, qui lui promettoient une durée éter\nelle? que des brigands attroupés qui avoient profané les tombeaux des Scipions, renverfé les statues des Céfars, & qui pour tout dire en peu de mots, avoient été caufe par leurs déprédations facriléges, qu'on eût perdu des Traités entiers de Ciceron, je ne fçais combien d'autres écrits précieux, & peut être quelques Odes d'Horace; Avec quel dédain les Sçavans dont je parle, ne devoientils pas regarder les Hiftoires groffieres, qui ne les entretenoient que des difgraces de l'Empire Romain, réduit à ne pouvoir plus fe défendre contre les Barbares, que par l'épée des Barbares mêmes?

Alleguons quelque fait qui prouve fenfiblement que tels ont été les fentimens de nos premiers Sçavans. Quoique les Manufcrits de Grégoire de Tours fuffent des moins rares, néanmoins la premiere édition de cet Auteur qui fut faite à Paris, ne parut qu'en mil cinq cens douze, & quand il y avoit déja cinquante ans que la preffe y rouloit. Ce ne fut encore qu'en mil cinq cens foixante, que Guillaume Morel donna dans la même ville la feconde édition du Pere de notre Hiftoire. Combien y avoit-il eu déja d'éditions de Virgile, de Ciceron & de Tacite?

Si quelques Sçavans formés fous le regne de François premier, le font plûs à la lecture des Auteurs contemporains de notre Hiftoire, ce n'a point été à la lecture de ceux qui ont écrit fous les Rois de la premiere Race. Les Sçavans dont je parle, s'étoient affectionnés avec raifon à la lecture de l'Hiftoire de faint Louis, & à celle

des Rois fes fucceffeurs, qu'ils trouvoient dans Joinville, dans Commines, & dans d'autres Auteurs contemporains, écrite avec un bon fens qui les charmoit. C'est en parlant de ces Auteurs, que le Chancelier de l'Hôpital difoit: Que la fimplicité éclairée de nos Historiens François avoit bien autant d'attrait pour lui, que l'elégance & la délicateffe des Hiftoriens Grecs & des Hiftoriens Romains. Un pareil éloge ne convient pas certainement à ceux de nos Annalistes, qui ont écrit fous les Rois de la premiere Race.

Les difputes de religion qui fous le regne de François premier, occuperent tous les efprits, détournerent encore le monde de donner à l'Hiftoire de la Monarchie une attention capable d'engager les Sçavans à faire une étude férieuse de nos Antiquités. Chacune des Sciences, ainfi que chacun des Arts ont la vogue tour à tour aux dépens des autres. Ils font prefque tous également sujets à l'Empire de la mode.

Enfin les difputes de religion ayant ceflé d'être la matiere du tems, tous les Livres des anciens ayant été traduits & commentés, & d'un autre côté, le nombre des Sçavans s'étant multiplié, il s'en trouva qui par differens motifs, fe mirent à travailler fur l'Hiftoire de leur patrie. On commença vers la fin du feiziéme fiecle à vouloir publier tous les monumens de nos Antiquités, & Du Haillan, ainfi que plusieurs autres, mirent au jour des Hiftoires de France moins imparfaites à plufieurs égards, que celles qu'on avoit vûes jufques-là, mais qui néanmoins ne rétablissent pas le commencement de nos Annales. Cependant Du Haillan, Vignier & les autres dont j'entends parler ici, ne méritent point là-deffus plus de reproche qu'on en peut faire à Gaguin, à Nicole Gilles,

& à Paul Emile. Quand Vignier & fes contemporains ont écrit, les matériaux néceffaires au rétablissement de notre Histoire, étoient encore, s'il m'eft permis d'ufer de cette métaphore, dans les forêts & dans les carrieres. Les en tirer, c'étoit un travail qui ne pouvoit être fait que par plufieurs perfonnes. C'étoit l'ouvrage d'un fiecle, & à peine avoit-on commencé de mettre la main à

l'œuvre.

Comme il s'en falloit encore beaucoup que ce travail ne fût fini lorsque Monfieur Adrien de Valois compofa fon premier volume de l'Histoire de France imprimé en mil fix cens quarante-fix, ce fçavant homme ne hésita point à fe conformer à l'opinion reçûë: Que les Francs s'étoient rendus maîtres des Gaules l'épée à la main. On apperçoit bien néanmoins par le peu de fatisfaction qu'il témoigne avoir lui-même des interprétations forcées, qu'il est réduit à donner à plusieurs passages des Auteurs, du cinquiéme fiecle & du fixiéme, afin de pouvoir les expliquer fuivant le fyftême établi, qu'il a fouvent entrevû la verité, quoiqu'il ait suivi l'erreur. Si M. De Valois, quatre ou cinq ans avant fa mort arrivée en mil fix cens quatre-vingt-douze, eût compofé de nouveau les fept premiers Livres de fon Histoire, peut-être qu'il eût découvert la verité en cherchant à éclaircir ces fortes de doutes qui restent toûjours dans l'efprit des hommes éclairés, lorfqu'ils fe trouvent malheureusement engagés dans l'erreur. Ce qui me fait penser ainsi, c'est que plufieurs perfonnes dignes de foy & qui l'ont connu, lui ont fouvent entendu dire: Je me fuis apperçû plus d'une fois en compofant l'Hiftoire des premiers Rois Mérovingiens, & même en écrivant les additions que j'y ai faites plusieurs années après l'avoir écrite, que je ne voyois pas bien clair.

Enfin pour continuer la métaphore, tous les matériaux néceffaires au rétabliffement de nos Annales, ont été raffemblés & dégroffis dans le cours du dix - feptiéme fiecle. Plufieurs Sçavans déterminés à ce genre d'étude par leur propre inclination, ou par le motif de se rendre utiles à l'Eglife, & foûtenus contre les dégouts inféparables d'un labeur fi pénible, foit par les récompenfes du Prince, foit par les encouragemens qu'ils recevoient de la Communauté dans laquelle ils étoient engagés, font venus à bout de ce travail. Ces Sçavans illuftres dont quelques-uns ont autant de part que nos meilleurs Poëtes à la réputation que la nation Françoise s'est acquise par les Lettres, fe font donnés toute forte de peine pour déterrer, déchiffrer, conférer & éclaircir tous les monumens litteraires de nos Antiquités. Grace aux travaux de Meffieurs Pithou, & de Valois, de Meffieurs Jerôme Bignon, Du Cange & Baluze, comme à ceux du Pere Sirmond, du Pere Pétau, du Pere Labbe, de Dom Luc d'Acheri, de Dom Jean Mabillon, de Dom Thierri Ruinart, des Bollandistes & de plusieurs autres, tous les fecours qu'il nous eft poffible d'avoir pour éclaircir les premiers tems de notre Hiftoire, font depuis environ cinquante ans à la disposition de tout le monde. Il y a déja quelque tems que nos Antiquaires difent eux-mêmes que la moiffon eft achevée, & qu'ils ne font plus que glaner.

Comment eft-il donc arrivé que les Auteurs, qui depuis cinquante ans ont écrit des Hiftoires de France, ayent fuivi l'opinion ou plûtôt l'erreur établie ? Pourquoi n'ont-ils pas entrepris ce que je tente? Répondons.

Les uns fe font laiffé guider au préjugé qu'on a naturellement en faveur d'une opinion reçûe depuis long-tems & qui n'a point encore été attaquée dans les formes. La

prévention des hommes eft bien grande pour ces fortes d'erreurs. C'eft fans les détruire que les doutes les combattent. A peine cedent-elles à l'évidence. Les autres Hiftoriens fe feront bien apperçus que le fyftême établi fouffroit des objections infolubles, mais ils auront été rebutés d'entrer dans la difcuffion de ces difficultés, par la peine qu'il auroit fallu fe donner pour connoître fi la verité fe trouvoit dans l'opinion établie, ou dans les objeЄtions.

En effet, entreprendre cette discussion, c'est s'impofer une tâche des plus pénibles. C'est fe condamner à relire plufieurs fois le même Livre, parce que dans les lectures précédentes, on n'y aura point cherché expresfément les chofes qu'une découverte faite ailleurs, & qui a donné de nouvelles vûës, femble promettre qu'on trouvera dans ce Livre. Il faut à chaque moment retourner, pour ainfi dire, fur fes pas. Comme les Editeurs n'ont pas eu les mêmes vûës que nous, nous ne fçaurions dans ces fortes de recherches nous en reposer fur leurs tables des matieres, quelques amples qu'elles foient, & il faut que nous relifions nous-mêmes dans les occafions le texte fur lequel ils ont travaillé, parceque fans être auffi habiles qu'eux, nous ne laiffons pas d'être capables d'y découvrir à l'aide d'une nouvelle lumiere ce qu'ils n'y ont pas vû. Enfin il faut se réfoudre à employer beaucoup d'années & beaucoup de peine à compofer quelques volumes d'une groffeur médiocre. ·

Une pareille tâche est bien rebutante pour un Auteur, fur-tout quand il ne la regarde que comme le commencement de fon travail, parcequ'il a entrepris de donner une Hiftoire de France complette. Il prend donc le parti de fe contenter de mettre en fon ftyle l'Histoire

de

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