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les fciences qui ont paru depuis deux cens ans parce qu'encore que nous aions leurs ouvrages, il eft certain que l'imagination & la mémoire excitées par la chaleur de l'entretien, fournissent bien des chofes que la lecture ne fournit pas dans le cabinet. Il me femble qu'on en peut également attribuer la faute aux Savans & à ceux qui devoient recueillir aux Savans parce qu'ils n'ont pas été aflez communicatifs à ceux qui devoient recueillir, parce qu'ils n'ont pas eu affez de zele ni de paffion pour le faire.

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M. Ménage n'a pas eu ce défaut. On auroit tort de l'en accufer. Non feulement il a été le plus affable, le plus honnête & le plus communicatif de tous les hommes ; mais on fait encore depuis combien d'années il tenoit fon affemblée des Mercredis, qu'il nommoit fa Mercuriale, jufqu'à ce que fa chute l'aiant mis hors d'état de fortir, il tint fa maifon ouverte tous les jours, depuis le matin jufqu'au foir : car, quoiqu'il n'y eût affemblée chez lui que depuis les quatre ou cinq heures du foir, on y étoit néanmoins bien venu à toutes les heures du jour. Il ne fe plaignoit ja mais qu'on le détournât; & lors même qu'il étoit dans le fort de fon travail

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on voioit qu'il ne laiffoit pas de s'entretenir avec les amis. On a remarqué plufieurs fois, quelque bruit qu'on fit dans la chaleur de la converfation, que cela ne l'empêchoit pas de compofer des lettres d'application avec autant de tranquilité & auffi peu d'embarras , que s'il eût été feul. Et c'eft cette facilité qu'on avoit à jouir de fon entretien, qui a engagé fes amis & ceux qui l'écoutoient à ne pas laiffer perdre de fi belles chofes.

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On verra ici de nouvelles marques de fa profonde érudition, de l'étendue de fes connoiffances, de la gaieté de fon efprit, de fon zele pour les amis de fa modération envers fes envieux & fes ennemis de fon honnêteté de fes rencontres heureufes dans les bons mots, de fes penfées judicieufes & de bons fens, de fon cœur ouvert fans diffimulation, & de plufieurs autres perfections qui le rendront recommandable à la pofterité.

Ceux qui l'ont fouvent fréquenté auront le plaifir d'y trouver ce qu'ils lui auront entendu dire ; & ceux qui n'ont pas eu le même bonheur, jugeront par la lecture de ce livre de la fatisfaction qu'il y avoit de jouir d'un entretien fi agréable.

Ce qu'on peut dire de fa converfa. tion, c'eft qu'elle n'étoit nullement languiffante, & qu'elle n'ennuioit jamais, parce qu'il avoit un fond inépuisable de bonnes chofes qu'il débitoit avec agrément. Cela eft fi vrai, que la plûpart de fes amis n'alloient le voir que pour l'entendre. Mais comme il arrive aflez fouvent que dans une compagnie nombreuse il s'y trouve de plus grands parleurs les uns que les autres, il fe taifoit dès que quelqu'un avoit pris la parole; & il avoit cela, qu'il n'impofoit jamais filence à perfonne, & ne témoignoit aucune impatience de l'importu nité qu'on lui caufoit, à moins que ce ne fût en confidération de ceux de la compagnie qui en fouffroient. Quelquefois on laiffoit dire ces parleurs, on s'ap prochoit, on faifoit un cercle autour de lui pour ne pas perdre la peine de l'être venu voir ; & c'étoit alors ordinai. rement qu'il charmoit.

Bien des gens croient que le Scali gerana fait tort à la grande réputation que Scaliger s'étoit acquife. Il fembleroit que ceux qui l'ont recueilli l'auroient fait pour la diminuer, fi on ne favoit qu'ils étoient tellement prévenus en fa faveur, que, prenant tout ce qu'il

difoit pour des oracles, ils ont cru (fans parler des vetilles, des bagatelles, des faufletez aufquelles ils fe font arrêtez) qu'il ne faloit pas même omettre les injures indignes d'un honnête homme, & les obfcénitez qui lui échapoient

On ne trouvera rien de femblable dans le MENAGIANA , parce que M. Ménage ne fe piquoit pas de favoir toutes chofes comme Scaliger qui vouloit qu'on crût qu'il n'ignoroit rien & qu'il étoit infaillible. M. Ménage avoit pratiqué des perfonnes illuftres de l'un & de l'autre fexe, plus polies & plus civilifées que les Hollandois & les Hollandoifes que Scaliger fréquenta pendant une bonne partiede la vie.

Ce n'eft pas que M. Ménage n'ait dit plufieurs chofes affez gaies & même libres; mais il les difoit pour être redites de la même maniere, c'est-à-dire entre des amis, & non pas pour être divulguées ou imprimées. Ainfi on ne doute pas que ceux qui en favent de cette forte, n'aient le même égard qu'on a eu dans ce recueil, & ne faffent voir qu'ils étoient de véritables amis de l'illuftre défunt, & non pas fes efpions.

Pour ce qui regarde le Perroniana, le

Thuana & le Sorbériana; ceux qui les ont lus en feront eux-mêmes la comparaifon avec le MENAGIA n a. Les Mélanges de Colomiez qui ont une gran. de approbation, font à peu près de même genre, puifque c'eft un recueil de ce qu'il avoit appris de plufieurs personnes favantes.

On peut remarquer dans le corps de cet ouvrage, qu'il y eft parlé d'un Bi gnoniana, & de plus, d'un Pithaana, qui eft ce qu'on a recueilli des paroles de François Pithou. Le favant M. de Lau nay a une copie de ce dernier. M. Patin avoit Grotiana; on parle auffi de Naudaana, Barboniana, Salotiana & Bourdelotiana. Ćes recueils ne peuvent qu'ê tre excellens, & il feroit à fouhaiter qu'ils ne demeuraffent pas plus longtems dans l'obfcurité.

Pour dire quelque chofe de l'ordre qu'on a gardé dans le MENA GIANA, la fuite des converfations auroit été peutêtre plus convenable comme Jean de Vaffan, depuis Feuillant, l'avoit obfervé dans l'original de fon Scaligérana. Mais cela n'a pas été poffible. On a feulement fait en forte autant qu'on a pu, pour la fatisfaction des lecteurs, que les *Lettre 155. Tome Premier.

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