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deux mots, que les perfonnes qui auront le plus de ce bon air des figures antiques, feront d'un meilleur choix, & les plus propres à être peintes & à faire l'ornement d'un beau tableau.

Et pourquoi faire ce circuit, reprit Damon, puifque le naturel pour être beau doir reffembler aux figures antiques? n'eft-il pas auffi bon de les copier directement en leur donnant le coloris de ce même naturel dont le peintre doit s'être déja fait une habitude? Enfin il me femble qu'il ne faut s'éloigner de l'antique que le moins que l'on peut, & qu'il n'y a pas de meilleur remede contre le mauvais goût.

Les meilleurs remedes, repliqua Pamphile, feroient des poifons s'ils n'étoient pas préparés, & les eaux les plus falutaires ne tirent leur vertu que des endroits par où elles paffent. L'antique eft un remede contre le mauvais goût, à la vérité; mais s'il eft pris tout, crud & fans qu'il soit assaisonné dea

beautés vivantes de la nature, l'ufage en fera dangereux. Le naturel a toujours quelque chofe de vif & de remuant qui tempere cette immobilité des figures antiques; & ceux qui prens nent trop de foin de les imiter, fans prendre garde aux graces particulieres qui accompagnent la nature vivante tombent toujours dans la féchereffe. Que trouvez-vous donc de beau dans l'antique, interrompit Damon ?

Plufieurs chofes, répondit Pamphile; la correction de la forme, la pureté & l'élégance des contours, la naïveté & la nobleffe des expreffions, la variété, le beau choix, l'ordre & la négligence des ajustemens; mais fur tout une grande fimplicité qui retranche tous les ornemens fuperflus, qui n'admet que ceux où l'artifice femble n'avoir aucune part, & qui rendant la nature toujours la maîtreffe, la fait voir plus noble, plus grande & plus majestueufe. Voilà ce que je trouve de plus remarquable

dans les fculptures antiques & ce qui en fait le grand goût, fans conter qu'elles nous inftruisent de mille belles chofes & qu'elles font une des principales clefs de l'hiftoire. Nous y apprenons les coutumes des anciens, leur religion, leurs differentes fortes d'habits & d'armes, leur maniere de combattre & de triompher, & enfin le détail de toutes ces chofes eft d'une recherche & d'une étude très-curieuse.

Mais après tout, lui dis-je, n'eft-ce point par un manque de lumiere ou d'élévation d'efprit que l'on fe propose ainfi les antiques, comme le plus accompli modéle du grand goût & de la correction? J'ai connu en Italie un homme de beaucoup d'efprit, & qui avoit une heureuse & longue expérience dans la sculpture, lequel néanmoins s'éloi gnoit le plus qu'il pouvoit de l'antique, dans la vûe d'attirer l'admiration par quelque chofe qui fortît de l'ordinaire. Il disoit à ceux qui le mettoient fur ce

chapitre, qu'il falloit tâcher d'être plus que copifte, & fe fervoit fouvent de ce proverbe italien: Chi refta in dietro, mai non fi tira avanti.

Cette objection eft affez fpécieuse, me répondit Pamphile, & je vais tâcher de vous fatisfaire. Le fiécle d'Alexandre étoit comme vous fçavez d'une politeffe confommée; & dans le deffein que l'on y forma de mettre les arts & les sciences dans la derniere perfection, l'on fongea entr'autres à la fculpture, & l'on chercha les moyens de donner à cet art des regles infaillibles & au-delà defquelles on ne pût aller fans s'écarter du bien. Les fculpteurs les plus habiles de ce tems-là employerent tout ce qu'ils avoient d'efprit, de bon fens & de génie pour y réuffir ; & après l'examen qu'ils firent des beautés de la nature & de quelle façon devoient être les parties du corps pour être également belles & faines, & dont l'affemblage fît un tout accompli, ce fut inutilement qu'ils

chercherent toutes ces parties raffemblées dans un même fujet, & ils conclurent enfin qu'il falloit les choisir dans plufieurs, & prendre des uns & des autres ce qu'ils auroient de plus beau pour faire ce corps parfait qu'ils s'étoient propofés, & qui devoit fervir de modele à la postérité. Policlete, l'un des meilleurs ouvriers de fon fiécle, exécuta fort heureufement cette pensée, & la ftatue qu'il fit se trouva si parfaite & eut tant d'approbation, qu'elle fut appellée la Régle; de forte que tous ceux qui travaillerent depuis fe fervirent des proportions de cette figure & imiterent la bonne grace de fes membres, ne croyant pas qu'il fût poffible de faire rien de mieux que ce que les plus éclairés de la Grece avoient fait avec beaucoup de fens & de réflexion.

Croyez-vous, pourfuivis-je, qu'il n'y ait eu chez les Grecs pour toute régle de proportions que cette feule figure ›

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