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Marguerite feint d'abord, par un mouvement de furprise, d'être frappée de l'extrême ressemblance du duc d'Yorck avec Edouard IV;puis reprenant l'air réfléchi & majestueux: Vous vous annoncez pour Richard Plantagenet, fecond fils d'un fouverain, de mon frère Edouard ?Il est vrai que vous lui reffemblez à me faire croire que c'eft mon neveu même à qui je parle & que j'envisage: mais on doit peu compter fur ces rapports infidèles j'en ai fait une trop cruelle épreuve ! Un vil impofteur a déjà joué ainfi ma crédulité ; il a reçu une jufte punition de fon groffier menfonge. Qu'il m'en a coûté d'être retirée d'une erreur fi chère! & que ce Simnel eft coupable à mes yeux !

Le duc d'Yorck ne paraît point déconcerté : il fe défend avec cette nobleffe & ces graces qui lui étoient fi naturelles, de l'affront que Marguerite lui fait de le comparer au fils d'un boulanger. La ducheffe reprend, en élevant la voix : eh bien ! je vais en présence de cette affemblée & de mes ferviteurs qui ont le plus d'expérience & de lumières, vous foumettre à un éxamen dont l'issue sera un châtiment honteux,fi vous avez eu l'audace de venir jufqu'en ma cour pour m'en impofer.

La curiofité des affiftans augmente avec l'heureuse

prévention qu'a fait naître le duc d'Yorck; tous les yeux, tous les cœurs, fi on peut le dire, font tournés vers lui. Marguerite, avec l'adreffe d'une femme confommée dans l'art de former de pareilles trames, l'accable d'un nombre de queftions on s'attend bien que fes réponses furent d'une justesse & d'une folidité qui avoient toute la force de l'évidence. Marguerite, afin de dompter les esprits les moins portés à croire, poussa son espèce d'interrogatoire auffi loin que l'exigeoit fa politique. Les deux acteurs s'acquittèrent de leurs rôles avec une intelligence qui produifit l'effet qu'ils s'étoient promis: il ne fut plus poffible de douter. La princeffe fçait recueillir tous les fruits du ftratagême : elle fe lève avec vivacité, laiffe un libre cours à des larmes qu'elle a l'adreffe de répandre à propos, & courant dans les bras de l'impofteur : Oui c'eft lui, c'eft l'héritier des Plantagenets, Richard, duc d'Yorck! c'eft mon neveu que j'embrasse! ô! comme la puiffance du ciel fe manifefte! qu'il prouve bien qu'il veut remettre le prince légitime à la place, & punir l'injuftice & l'ufurpation ! oui, voilà l'unique efpoir, & le foutien de la Rofe blanche!

Toute l'affemblée a la conviction & les transports

que paraît avoir Marguerite; on éprouve une douce fatisfaction à voir la fortune se déclarer en faveur d'un jeune-homme fi intéressant. Prince, reprend la ducheffe, vous n'aurez pas d'autre palais que le mien ; je fçais les égards qu'on doit à l'héritier de la couronne d'Angleterre, & j'y joindrai l'accueil d'une qui partagera fon bonheur & fes difgraces.

parente

Le duc d'Yorck reçut en effet toutes les marques de diftinction réservées aux fouverains: on lui donna une maison,& une garde compofée de trente hommes; ses conversations avec les feigneurs Flamands, & quelques Anglais qui fe trouvoient à la cour de l'archiduc, achevèrent de lui concilier les efprits ou plutôt les cœurs car il avoit excité un attendrissement général qui alloit jufqu'à l'emportement.

Cette forte d'yvreffe avoit paffé les mers : fir Stanley, tréforier des revenus du roi d'Angleterre, le lord Fitzwalter, fir Montfort,fir Thomas Thwates députèrent vers Marguerite fir Robert Clifford, & Guillaume Barley pour juger par eux-mêmes de la vérité; entraîné peut-être par la ducheffe, ou le jouet, fans le fçavoir, d'une crédulité groffière, le premier écrivit à ses amis de Londres que le perfonnage qui faifoit tant de

douard IV, qu'on ne pouvoit s'y méprendre. Cetta Bouvelle fut répandue & faifie avec un enthoufalme qui retira enfin Henri de la fécurité dédaigneufe où jufqu'alors il étoit resté afsoupi. Chaque moment grandifloit le fantôme, & lui donnoit une confiftence dont la réalité apparente pouvoit devenir funefte au roi d'Angleterre. D'abord il rendit publique la déclaration de Tyrrel & de Dighton: ils avouoient qu'ils avoient étouffé dans la Tour les deux princes Edouard V, & Richard, duc d'Yorck: mais ces dépofitions n'étoient point fuffifantes pour détruire la fable qui s'accréditoit, & Henri lui-même paraissoit convaincu de leur faibleffe. On prétendoit que l'autorité avoit arraché ces aveux fi peu fatisfaifants. Le monarque crut devoir recourir à des artifices plus victorieux: il chargea des émiffaires qui lui étoient

Et de Dighton, &c. Richard III avoit employé le ministère de quatre perfonnes pour se défaire de ses neveux ; de ces quatre, deux exiftoient, Tyrrel & Dighton; ils affurèrent que les princes avoient été étouffés: mais comme le prêtre qui les avoit enterrés fous les degrés de la prifon, étoit mort, & que peu de après cette éxécution, Richard avoit fait tranfporter les ailleurs cet aveu paraissoit denué de preuves convainquantes, ce qui ne contribua pas peu à raffermir le parti da faux duc d'Yorck,

tems

corps

:

dévoués, de s'appliquer à découvrir la naiffance, l'éducation, tous les détails de la vie du prétendu Richard Plantagenet, ainfi que les noms de ceux qui le favorifoient en Angleterre. Henri n'en demeura point à ces fimples manœuvres : afin d'ôter toute défiance, il plaça dans la lifte des ennemis du roi, fuivant l'usage de ces tems, ces mêmes émiffaires, dont il feignoit d'avoir à fe plaindre : ils furent excommuniés à l'églife de faint Paul, & le monarque n'eut point de fcrupule, quoique plufieurs historiens ayent eu la maladresse de donner des éloges à sa piété, de blesser la religion dans fes privilèges les plus facrés, en faisant fervir la confeffion à des recherches éxactes contre le prétendu fils d'Edouard IV, & fes partifans. Henri ne s'arrêta point aux rapports fourds & cir

En faifant fervir, &c. La réflexion du père d'Orleans à ce fujet eft d'un écrivain judicieux & eftimable. » Abus (dit-il) du glaive de l'Eglife dans un roi chrétien, mais beaucoup plus → encore en ceux qui ayant reçu ce glaive en dépôt, lui en permettoient un tel usage. De quoi n'abuse point la politique,

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quand la religion même ne lui fert point de digue ? « C'est en écrivant ainsi qu'on peut fe rendre utile, & donner des leçons profitables; alors l'hiftoire n'eft plus une gazette ennuyeufe, ou un amas de trivialités & de flatteries criminelles.

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