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qui devoit le mener au trône, ou que fe creufoit fon cercueil. Dans quelle foule de réflexions accablantes il se plongeoit ! D'un côté quels fruits de la victoire un fceptre brillant, le plaifir de combler de biens une femme adorée, de la faire affeoir fur un trône, de lui montrer un époux digne d'elle, de voir un vaste royaume à fes pieds, de figurer parmi les premiers fouverains de l'Europe; à ces images féduifantes fuccédoient des tableaux bien différents : une défaite fans reffource, la honte, le défespoir, la misère, la mort, la prison plus cruelle encore, ou un trépas ignominieux, le dernier des revers, cette beauté aimée à l'idolâtrie, & qui avoit facrifié tout à l'amour, retirée de fon erreur, forcée de mépriser, de haïr celui qui l'avoit trompée fi lâchement, victime elle-même d'une imposture criminelle, abandonnée à l'adverfité, à l'humiliation, à l'opprobre, rougissant de fon nom, expirant enfin fous tant d'infortunes, en déteftant leur auteur: voilà quels orages divers bouleverfoient l'ame du jeune audacieux. César prêt à livrer bataille pour disputer l'empire du monde,avoit eu peut-être l'efprit moins agité.

Le duc d'Yorck veilloit feul avec Aftley dans få tente il lui confioit ces penfées tumultueuses

Le combat devoit fe donner le lendemain, au lever de l'aurore. Le duc avoit fa tête appuyée fur la table où étoient fon cafque & fon épée.

Un homme entre avec précipitation, lui remet un billet conçu en ces termes: Je ne fçais, lorfque

vous recevrez cet écrit, s'il fera temps encore de me fecourir. Henri eft informé que ce lieu eft ma >> retraite ; il envoye un corps de troupes pour se » faifir de moi; cher époux, vous ferois-je ravie? «

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Allons, mon cher Aftley, empêchons que la ducheffe ne tombe dans leurs mains. Que faitesvous? fongez que nous touchons au moment... Je ne vois rien que le péril d'une époufe adorée, & fi je la perds, que m'importe la victoire, le royaume d'Angleterre, l'empire de l'univers? Ami, courons, volons, transportons la ducheffe dans un azyle plus sûr, & je reviens au jour naiffant, combattre, ou mourir. Que nul ici que toi, & quelques ferviteurs qui me font dévoués, ne foit inftruit que j'ai quitté l'armée,

Il n'a pas achevé ces paroles, qu'il s'élance fur un cheval, suivi d'Aftley, & vole vers Bodmin. Il n'a que le temps de fe précipiter dans les bras de fa femme, de la prendre dans les fiens, & de la con

des

duire aufli promptement dans un endroit écarté,à plufieurs mille de cette place. Il ne lui échappe que mots entrecoupés, des larmes, des fanglots, enfuite des transports d'audace, des promeffes de revenir mettre aux pieds de la princesse les drapeaux qu'il va remporter; il s'en fépare avec vivacité, retourne avec le même emportement à ses genoux, lui prodigue les careffes les plus tendres, lui fait enfin fes adieux, en verfant de nouvelles larmes, & reprend avec fon ami le chemin de fon camp.

Les vents ne font pas plus rapides. Le ciel commençoit à blanchir ; le jour alloit paraître. Les deux cavaliers redoubloient d'efforts; ils approchoient de Tawton; déjà ils apperçevoient leurs étendarts. Un bruit affreux frappe leurs oreilles ; un foldat couvert de fang, accourt, & tombe aux pieds de leurs chevaux ; il reconnaît le duc : Sauvez-vous. Les ennemis n'ont pas attendu l'aurore pour nous attaquer. On a fçu que vous nous aviez quittés. Nous fommes vaincus; la plupart des nôtres font morts ou prifonniers. Prince, on vous cherche par-tout; une prompte fuite eft la feule reffource qui vous reste.

Il n'en dit pas davantage, & fur le champ ce malheureux expire de fes bleffures.

O ciel ! s'écrie le duc ; j'ai tout fait pour l'amour; & c'est lui qui me perd ! Il tire fon épée, veut s'en percer: Aftley l'arrête : Oubliez-vous la ducheffe ? eh! quel fera fon fort? c'eft ici qu'il faut rappeller votre fermeté. Vivez pour faire tête au malheur. Un homme vraiment courageux renonça-t-il jamais à l'efpoir?

Aftley, en lui parlant de fa femme, s'étoit servi d'un moyen afsuré pour le détourner du projet de se

donner la mort. L'un & l'autre s'abandonnent à l'impétuofité de leurs chevaux; ils ne (çavoient quelle route tenir; la confternation les égaroit; ils voyent derrière eux s'élever un nuage de pouffière; ils diftinguent un efçadron ennemi qui accouroit de leur côté : comment lui échapper? un château se présente à leurs regards: ils y précipitent leur course.

Quel nouveau coup de foudre ! ils ont reconnu ce château qui appartenoit au lord Courteney, un des partisans les plus zélés des Lancaftres ; ils font déterminés à éviter ce féjour ; cette troupe les preffe ; elle va les faifir; l'épouvante s'eft emparée d'Astley. Le lord Courteney étoit retenu dans cette campagne par la maladie d'un de fes enfants qu'il aimoit beaucoup la fortune obflinée à perfécuter les deux fugitifs, veut

que ce feigneur les apperçoive: auffitôt il fait un mouvement, comme pour aller chercher des domestiques, afin de s'en rendre maître. Le duc pénètre fon deffein; il vole à lui, & avec une noble fermeté : Mylord, vous êtes mon ennemi; vous êtes auffi le plus généreux des hommes ; je fuis le duc d'Yorck; j'ai perdu la bataille ; on nous poursuit, & c'eft dans vos bras que je me réfugie avec mon ami : nous trahiriez-vous? Le lord demeure interdit: - Oui, je fuis votre ennemi, & vous n'êtes pas le duc d'Yorck: mais vous ne vous repentirez point de la confiance que je vous ai infpirée; entrez, ma maison vous eft ouverte ; je fçais respecter l'hospitalité ; ne craignez rien ; quand le péril fera paffé, vous irez ailleurs attendre la punition que vous méritez.

Le jeune homme que nous avons dépeint comme l'efprit le plus fouple & le plus infinuant, ne voit dans cette réponse que la grandeur d'ame du lord, & a l'art de paraître se cacher ce qu'elle renfermoit d'offenfant ; il remporte une victoire d'un nouveau genre: il a une longue converfation avec Courteney, qui finit par être perfuadé que fes foupçons étoient in

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