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ne l'étoit ordinairement. Ma chère comteffe, feroit-il poflible que vous fuffiez la victime d'un nouveau chagrin ? Je ne fçais, ma tendre amie, fi je dois ajoûter aux reproches que quelquefois je me permets envers le ciel, ou fi j'ai des graces à lui rendre j'imagine que Varbeck va renaître pour moi. Sulton ne fçauroit comprendre ce que veut lui dire fon amie: enfin la comteffe lui fait part de fa fituation : elle ne pouvoit plus fe la diffimuler, elle étoit enceinte, & l'enfant de Varbeck fe trouvoit profcrit même avant fa naissance. Ce n'étoit point affez, dit la comteffe, d'être la plus à plaindre des épouses: je ferai la plus miférable des mères ! eh! quel don ai je à faire à l'infortunée créature que je fens déjà s'agiter dans mon fein!

Les deux amies dérobent ce mystère à tout ce qui les environne; la comteffe accouche dans la caverne, aidée de la feule Sulton: tous les ré gards s'attachent fur un fils dont les traits naiffants annoncent déjà l'exacte reffemblance de Varbeck. C'eft dans ce féjour ténébreux, qui n'étoit éclairé que d'une lampe, , que cet enfant commence la carrière de la vie, verfe ces premières larmes qui fem

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blent indiquer la deftinée de l'homme. La comteffe goûtoit tous les plaifirs maternels: elle allaitoit fon fils le baignoit de fes pleurs, répétoit fans ceffe : cher enfant ! c'eft ton père que je vois, que j'embraffe ! quel fort t'eft réservé ! fi le cruel Henri alloit foupçonner feulement ton éxistence! Ah n'es-tu point affez à plaindre ? pourroit-on t'envier cette demeure où tu as reçu le jour, ou plu tôt où tu es condamné à une nuit éternelle ? qu'il règne le barbare, & qu'il me laiffe dans le centre de la terre te nourrir de mes larmes ; je ne demande rien aux rois, aux hommes, au ciel même. Un fils eft fa mère.

tout pour

La comteffe en étoit un exemple frappant. L'Angleterre, le monde entier n'étoient plus à fes yeux qu'un tableau effacé qu'elle banniffoit même de fon souvenir; elle paffoit fes jours dans la caverne ; fon enfant commençoit à lui fourire, à bégayer le tendre nom de mère. Cœurs fenfibles, vous connaissez le charme attaché à ce mot, quand il eft prononcé par une bouche où la nature femble avoir imprimé fon plus touchant caractère.

Cette infortunée avoit été obligée de confier pour

bras de Sulton qui l'inondoit de fes larmes ; elle ne lui dit que ces mots : il n'eft plus!

Un inconnu veut parler à la comtefle : elle cède à fes inftances; il lui remet une lettre. A quels nouveaux emportements ne s'abandonne point fa douleur, quand elle a jetté les yeux fur l'écriture! C'eft de mon époux! c'est de mon époux ! elle fait donner une fomme au porteur de la lettre, & se hâte de l'ouvrir : Sulton, c'eft de Varbeck! Ah! mon amie combien j'étois aimée !.. Mais étoit-il bien affuré à quel excès je l'adorois! auroit-il penfé un moment, que cette tendreffe avoit pu feulement s'affaiblir? Hélas! fa vie m'étoit fi chère ! c'eût été peu de lui facrifier la mienne : connais mon amour: je crois que pour fauver les jours de Varbeck ... j'euffe tout immolé. Varbeck étoit tout pour me trompé-je ? Sulton, des tranfports jaloux font mêlés aux transports les plus tendres ! ah! Varbeck, tu aurois emporté ce foupçon dans la tombe? ah! Varbeck, pourquoi mes derniers foupirs n'ontils pu fe confondre avec les tiens ? pardonne si je t'ai caché les fentimens d'un rival qui, fans doute, ont précipité ta perte ! cher époux, ne lisois-tu pas jufqu'au fond de mon ame? je craignois

moi...

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par cette confidence d'augmenter tes peines! n'é-toient-elles pas affez cruelles ? quel fouverain l'eût emporté fur toi ? Sulton, il fera expiré avec cette idée prefque auffi déchirante pour mon cœur que fa mort! que n'ai-je, ô ciel ! cèdé à mon premier mouvement! je voulois lui apprendre que Henri avoit osé me révéler je veux m'arracher de ce féjour. La feule pensée que je reverrois Henri, me caufe des tourments... je ne pourrois les foutenir: allons fixer notre demeure,au bout du monde ... près de cette caverne... ce fera pour moi un lieu de délices ! j'y ai paffé les plus beaux jours de ma vie ; j'en partageois la folitude & l'horreur avec ce que j'aimois; j'étois loin de tout l'univers, près de Varbeck ; fi je versois des larmes, fa main les effuyoit.

Ce n'étoit point un projet vague qu'avoit conçu cette femme fi digne de compaffion; elle fe traîne chez la reine, la conjure d'obtenir pour elle du roi la permiffion de se retirer dans un afyle écarté, où elle iroit enfevelir le peu de jours que lui laiffoit sa fituation déplorable. L'époufe de Henri est sensible à fa demande ; le roi hésite longtems à fe rendre aux follicitations preffantes de mylady Huntley; enfin il

veaux plans de politique & d'avarice venoient le difputer à l'amour qui d'ailleurs ne pouvoit être qu'un sentiment étranger pour fon ame : la véritable tendreffe éxige le facrifice de toutes les autres paffions; c'eft une forte de culte religieux qui n'admet qu'une divinité. La comteffe quitte donc la cour d'Angleterre avec lady Sulton, & va habiter une maifon retirée, voisine du fouterrain qui avoit fervi de refuge à fon mari.

De nouveaux plans de politique &c. On ne fçauroit trop s'é➜ lever contre les excès où cette dernière paffion jetta Henri VII; un certain William Capel, bourgeois de Londres, s'avifa de parler un peu trop librement fur les rapines & les extorfions de ce prince; le frondeur fat taxé à une amende de deux mille livres sterlings. Empfon, & Dudley étoient les miniftres de ces concuffions révoltantes. Ces deux fcélérats fatisfirent depuis à la vengeance divine & humaine en périffant fur l'échaffaut.Tous les malheurs qui, fous le règne fuivant, affligèrent l'Angleterre, tirent peut-être leur fource de cette détestable avarice dont Henri fut dévoré ; la crainte de rendre la dot de Catherine, veuve de son fils Arthur, la lui fit donner en mariage à fon fecond fils. » Aux approches de la mort, (obferve judicieusement, l'eftimable auteur des Eléments de l'hiftoire d'Angleterre) ce » monarque crut expier fes injuftices par des aumônes & des » fondations plus propres quelquefois à tromper la conscience qu'à fatisfaire le fouverain juge. «

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