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m'égare,je t'en impofe ; je m'en impofe à moi-même ; & comment toute mon ame n'auroit-elle pas été remplie du bonheur de voir un prince... Je fuis aimée... ne crains rien, je fçaurai résister à mon père, à mes propres defirs; je n'irai point à Londres; je refterai dans ce séjour... je ne puis plus foutenir tant d'orages oppofés. Maly,j'ai été fur le point de découvrir tout à mylord ; l'arrivée d'un de fes amis m'a arrachée à cette cruelle extrêmité; fois inftruite feule de tout ce qui déchire mon cœur ; j'ai besoin que l'amitié vienne m'appuyer. L'amour, quel mot j'ai prononcé, me cause bien des tourments! Aidée de tes confeils, de ta fermeté, je triompherai. Ah! que je redoute la vûe de Salisbury! qu'un cœur qui aime la vertu, en lui étant infidèle, a de la peine à ne pas fe trahir! Qu'on eft heureux, lorfqu'on ne s'eft point écarté de fon devoir ! je l'ai perdu,ce bonheur ! jamais je ne le goûterai !

Varuccy fait des préparatifs pour retourner à Londres; la comteffe déterminée par fon amie à garder le filence, & à ne point s'expofer aux regards du monarque, prétexte une indifpofition; fon père s'en fépare, en lui commandant expreffément de venir le joindre à la cour, auffitôt qu'elle fera rétablie ; sa

fille le voit partir avec quelque regret ; il y a des momens où elle accuse fa fageffe de trop de févérité. Elle s'interroge fur ce qu'elle defire, fur ce qu'elle veut rejetter; elle voudroit conserver sa vertu; elle pleure fur fon facrifice. La comteffe de Salisbury adore Edouard, & elle sent tout l'excès de fon égarement: quel fort déplorable! que de femmes retrouveront dans ce tableau l'image de leur fituation!

Ce n'étoit point affez que madame de Salisbury eût foutenu les preffantes follicitations de fon père : il falloit qu'elle repoufsât des affauts encore plus redoutables. Au moment qu'elle pleuroit dans le fein de fon amie, qu'elle fuccomboit fous tant de combats différents, on annonce un inconnu qui demande un entretien fecret : la comteffe éloigne tout ce qui l'entoure, & demeure feule. L'inconnu entre, & préfente une lettre :- -Voici, madame, ce

que

le roi m'a ordonné de vous rendre à vous-même. Le roi, dit madame de Salisbury ! elle ne peut cacher fon trouble;elle ouvre la lettre d'une main tremblante, & lit ces mots : » Vous faut-il, madame, des ordres • abfolus pour vous appeller à la cour? Jamais la voix du maître ne fe fera entendre;ce fera celle de » l'homme qui vous eft le plus foumis. Belle Salis

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bury,l'amour n'est-il pas au-deffus de tous les me narques de la terre? C'est Edouard qui eft votre fu» jet ; vous êtes ma fouveraine; oui, vous donnez » des loix à ce cœur qui jusqu'ici n'avoit brûlé que de

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l'ardeur des combats, & n'avoit connu de paffion » que celle de la gloire. Je puis commander à l'Angleterre, & je ne fçaurois maitrifer un penchant que votre abfence ne fait que fortifier. Venez, charmante Salisbury, embellir le féjour de la grandeur; ne craignez point que j'aye recours à l'autorité; s'il m'étoit permis,toute ma cour ne vous parleroit que de ma tendreffe: mais je ne prétends point vous contraindre qu'un époux foit mon heureux rival; qu'il ait votre amour ; je » ne veux que vous voir, adorer en filence vos > charmes, envier tout bas leur fortuné poffeffeur. » Votre père vous attend, le comte eft prêt à se rendre ici. Votre roi, ah ce n'eft point le monarque qui vous écrit, votre amant, mais votre amant le » plus difcret, le plus défintereffé n'obtiendroit-il point une réponse ?

P.S.» Si je ne puis jouir de votre présence, qu'à la cruelle condition de ne vous point parler de mon amour, fongez que je m'imposerai un filence

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» éternel; oui, je fçaurai me taire : mais, adorable Salisbury, que je vous voye ! que mes yeux s'attachent fur les vôtres ! que mes regards vous expriment une ardeur dont ma bouche s'interdira » l'aveu. Jamais, jamais je ne vous en parlerai ; »je me contenterai d'admirer, d'adorer en fecret

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la divinité de mon cœur. Les rois ont donc des maîtres! c'eft à vous que l'Angleterre obéira. « La comteffe ne fçait à quel fentiment s'arrêter; des mouvements confus fe font élevés dáns fon ame: fa vertu, fon devoir, fon amour, & c'eft-là un de fes plus redoutables ennemis la combattent, triomphent tour à tour; elle court, veut prendre la plume; elle refte en fufpens. Madame, lui dit l'inconnu, le roi attend une réponse.... Une réponse,s'écrie madame de Salisbury! eh ! qu'exige le roi?.. Je ne paraitrai jamais en fa préfence; dites-lui...non,il faut que je lui écrive, qu'il fçache... il me rend bien malheureuse!

Cette victime d'une paffion qui avoit pris trop d'empire, étoit livrée à une agitation qu'elle n'avoit point encore éprouvée. Cependant elle fe détermine, & trace ce billet trempé de fes larmes. » Une réponse, fire! & que voulez-vous que je vous écrive? je n'au→rai toujours qu'un feul mot à vous oppofer: il n'en

pour me confoler, reçois mes larmes & ma vie ; que je meure dans ton sein!

Et en difant ces mots, la comtesse étoit tombée dans les bras de Maly. Elle reçoit une lettre de fon époux : - Le comté revient ! il foutiendra ma faibleffe! fon arrivée empêchera qu'Edouard, & moi, nous n'écoutions un fentiment que tous deux nous devons étouffer.

Mylord Varuccy vient voir fa fille; il lui demande la cause du profond abbattement où il la trouve plongée : elle craint de lui répondre,& d'employer l'artifice. Alix, votre mari fera bientôt de retour; la cour de France le renvoye fur fa parole: ceffez donc de vous allarmer fur fon fort. S'il a effuyé quelques difgraces, elles font bien réparées: il a fçu fervir l'Angleterre par une médiation qui fait honneur à fes lumières politiques ; il eft plus d'une fource de gloire pour les hommes qui connaissent le prix de la véritable réputation; vous verrez le comte dans peu de jours. Ma fille, n'allez donc pas lui montrer une douleur qui altéreroit le plaifir qu'il aura de fe trouver dans le fein de fa famille & de fes amis.

Que

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