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montroit à Maly tous les regrets, & toute fa faibleffe.

Mylady Suffolck fait inviter madame de Salisbury à un bal qu'elle donnoit dans une de fes maifons de campagne, à quelques milles de Londres ; le lord Varuccy preffe fa fille de céder à l'invitation : elle crut qu'elle devoit répondre aux politesses de madame de Suffolck. La comteffe prend un déguisement; arrivée dans le bal, elle ne fe fait connaître qu'à mylady feule. L'affemblée étoit brillante & nombreuse; madame de Salisbury se faifoit admirer par sa taille à la fois majeftueufe & élégante; on auroit pu aire que fes graces la trahiffoient. Elle laiffe par hazard tomber fa jarretière ; un mafque, richement habillé, la ramaffe avec précipitation, & veut s'en emparer: la comteffe demande inftamment qu'on la lui rende;

Elle laiffe, &c. Telle eft à peu près l'origine de l'inftitution de l'ordre de la jarretière. Plufieurs écrivains, & entr'autres le célèbre M. Hume, qui veulent ennoblir les causes de tout ce que font les fouverains, s'élèvent contre cette anecdote galante, & la traitent de fable. L'ordre de la toifon d'or n'a pas, felon quelques hiftoriens, une création plus importante. Au refte, M. Hume convient que les mœurs

on ne l'écoutoit point; croyant en impofer à l'audacieux chevalier qui retenoit fa jarretière, elle fe dé

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du fiècle où vivoit Edouard, étoient très-compatibles avec ces fortes d'institutions. Quoiqu'il en foit, on prétend que la comteffe de Salisbury ayant laiffé tomber dans un bal fa jarretière, Edouard s'empreffa de la ramaffer, & que s'étant apperçu d'un fourire échappé à quelques-uns de fes courtisans qui fembloient attribuer à une faveur décidée ce qu'il ne devoit qu'au fimple hazard, il s'écria! honny foit qui mal y penfe! ces mots furent la de vife de l'ordre. Le nombre des chevaliers eft de vingt-quatre, fans compter le roi. Les perfonnes qui veulent abfolument que la ga. lanterie n'entre point dans les actions des grands,ont imaginé que ce qui porta Edouard à établir cet ordre, fût qu'à la journée de Crécy, il avoit donné pour mot, garter, qui fignifie en Anglais une jarretière. D'autres avançent qu'à cette même bataille, ce monarque avoit fait attacher sa jarretière au bout d'une lance pour le fignal du combat. Enfin des amateurs de vieilles chroniques, foutiennent qu'Edouard n'avoit fait que renouveller un ancien ordre, créé déjà par le roi Richard I, au fiège d'Acre ou Ptolémaïs. Ce dernier (à fuivre leur opinion) déterminé à prendre la ville d'affaut, avoit diftribué, après l'interceffion de S. George, à fes principaux officiers, des bandes de cuir pour les attacher à la jambe, afin qu'ils fe fiffent reconnaître dans la mêlée, & de-là eft venu cet ordre aujourd'hui le premier de

termine à ôter fon mafque; mille acclamations proclament, en quelque forte, la beauté de madame de Salisbury; auffitôt le raviffeur fe découvre à fon tour: quel étonnement pour l'affemblée, & pour la comteffe elle-même, quand on reconnait le roi ! il s'écrie : voici un tréfor que je mérite de pofféder! je ne le céderois pas pour l'empire du monde. Un rire malin échappe à quelques perfonnes: Edouard continue honny foit qui mal y penfe! ceux qui ont ri, n'auront point de part à l'ordre que je vais inftituer, & dont les premiers fouverains de l'Europe fe feront honneur de porter les marques. Il adresse à voix baffe à madame de Salisbury quelques paroles qu'on ne pouvoit entendre; on obferva feulement qu'elle étoit troublée; Ribaumont n'a pas plutôt vû la comteffe,

l'Angleterre.Voilà comme toutes les hiftoires ont été compilées; le moyen dans ce fatras de menfonges groffiers, de démêler la vérité! Encore s'il n'y avoit que de femblables bagatelles qui fe perdiffent dans les ténèbres: mais les faits les plus effentiels font couverts des mêmes nuages ; & un grave hiftorien voit d'un cil de compaffion un frivole romancier. Mes amis, vous êtés également d'honnêtes charlatans; je pardonne du moins à ceux qui m'intéressent, ou qui m'amufent,

que faifi d'enthousiasme, il dit, en jettant son gant au milieu de la falle : je fuis prêt à combattre pour la plus belle ; deux chevaliers étrangers le ramassèrent} le Français les vainquit fucceffivement, & les obligea de recevoir les loix.

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Edouard brûle de rejcindre Ribaumont ; du plus loin qu'il l'apperçoit : :- Eh bien ! mon ami, tu es donc le champion de madame de Salisbury? Sire, après Dieu, le roi de France & vous, je ne voudrois fervir d'autre maître. C'eft de telle dame qu'on peut dire que la beauté eft la première fouveraine de la terre. De par monfeigneur faint-Denis ! je défierois tous les chevaliers de la table ronde pour madame de Salisbury, & ferois bien assuré de les vaincre. J'ai forcé mes deux téméraires affaillants à convenir qu'elle étoit la plus gente & la plus belle ; & ils m'ont engagé leur foy qu'ils porteroient fes couleurs : finon, je les tiendrai pour chevaliers recrues & deshonés. Il n'eft de majefté qui réfifte à tant de charmes! - Ribaumont tu conçois donc que je fuis le plus épris des amants ? Ma foy, fire, notre paladin Roland a fait nombre de fotifes pour un bien moindre objet, & je ne crois pas

Recrus, &c. Voyez Sargines &c.

que votre Rofemonde fi vantée eût ofé entrer en parallele avec madame de Salisbury. Ce forcier de Merlin dont nous parle encore l'Angleterre, avec tous fes enchante

Votre Rofemonde fi vantée, &c. Rofamonde ou Rosemonde fut la maitreffe de Henri II roi d'Angleterre ; elle a donné encore lieu à une infinité de fables qui dumoins amusent le lecteur. Rofemonde mérita le furnom de la belle, & réunit à fes charmes les plus brillantes qualités. On fait une nouvelle Médée de l'époufe de Henri II: fa jaloufie contre cette femme adorée de fon mari, la porta aux plus cruels excès; elle suscita une foule d'ennemis au roi, fit entrer fes enfants mêmes dans une confpiration dont le but étoit de le détrôner & de lui ôter la vie. Sa rivale n'éprouva point une perfécution moins vive; Henri voulant dérober fa maitreffe aux fureurs de la reine, trouva moyen de la cacher dans une de ses maisons qu'on nomme Woodstok. C'est-là que s'eft exercée l'imagination Anglaise: on parle d'un parc, d'un fameux labyrinthe, d'un étang, autant de monuments où l'enchanteur Merlin avoit prodigué tous les fecrets de fa magie. La reine employa le ftratagême d'Ariane : un peloton de fil lai fervit à tirer de fa retraite la malheureuse Rosemonde qui effuya toute la rage d'une femme jaloufe, & d'une reine offenfée. Enfin elle termina fa vie dans les tourments dont l'accabla l'époufe de Henri ; quelques-uns prétendent que le poison abrégea fes jours. La mémoire de cette beauté infortunée eft encore chère aux Anglais; elle a servi de fujet à un ouvrage lyrique d'Adiffon où il fe trouve des mor

ceaux eftimables.

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