Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Dombart; élevé par le roi à la dignité de comte de Salisbury, il n'avoit à defirer que la continuation des faveurs dont l'honoroit le monarque; Edouard y mit le comble: il engagea un de fes miniftres, le lord Varuccy, à donner au comte fa fille en mariage.,

Alix, c'étoit le nom de la jeune lady, n'avoit point encore paru à la cour: privée de fa mère qu'une mort imprévue lui avoit enlevée, elle vivoit dans une des terres de fon père, confiée aux foins d'une parente qui s'étoit attachée à cultiver fon éducation. Alix étoit un de ces tréfors que la fociété mérite peu de pofféder; une beauté éblouiffante fans le fecours de l'art, ces graces ingénues qui font fi féduifantes, ce fon de voix qui porte l'amour dans le cœur, avant que les yeux l'ayent fait naître, le charme d'une douce mélancolie répandu fur tous les traits, l'affemblage de mille enchantemens, voilà fous quels heureux dehors s'annonçoit la fille de Varuccy. Mais comment donner une idée de toutes les perfections qu'une fi belle perfonne receloit. L'ame la plus noble & la plus fenfible éclatoit jufques dans fes moindres actions; fa douceur n'empêchoit point qu'elle n'eût une fermeté audeffus de fon sèxe & de fon âge ; son esprit éclairé ne faifoit qu'augmenter la foumiffion qu'elle avoit

[ocr errors]

vouée à son père. Le lord étoit d'un caractère dur & impérieux ; il avoit cette mâle probité des anciens Anglais; incapable de plier, quoiqu'il vêcût à la cour, adorant fon maître, fans vouloir s'abaisser au rôle de flatteur, il lui eût facrifié fans héfiter fa fortune, fa vie : mais l'honneur pour Varuccy étoit encore au-deffus d'Edouard ; après le roi & l'état, fa fille étoit ce qu'il aimoit davantage.

Il court vers Alix, lui annonce les intentions du monarque qui demande sa main pour le comte de Salisbury: le père n'apperçoit point fon trouble; il fe retire convaincu qu'il fera obéi, & fa fille en effet étoit réfolue à fuivre les ordres : elle ne connaiffoit

d'autre loi que la volonté paternelle. Cependant

loin des yeux de fa parente, elle fe livre à la douleur, & répand un torrent de larmes ; elle n'a de té"moin de ce défordre inconcevable que la feule Maly, jeune perfonne dont la fortune ne répondoit point à la naiffance, & qui avoit été élevée avec la fille du lord. Maly, étonnée de la profonde trifteffe où s'abandonne fon amie, lui en demande la raison : elle n'en reçoit que des réponses peu fatisfaisantes. Hélas ! s'écrie Alix, ma chère Maly, je connaiffois le bonheur; je le goûtois; maitreffe de mon cœur, je jouiffois d'une

fage indépendance qui n'offenfoit point l'autorité d'un père. Ma tranquillité, mes plaifirs, mes fentiments... mes larmes étoient à moi ; Maly, ton amitié, la tendreffe de mylord fuffifoient à ma félicité, & je vais paffer sous le joug d'un époux que je ne connais pas... Plains ma fituation; je la cache aux regards de mon père,à ceux de ma parente: mais elle fe montre aux tiens. Que tu es heureuse! que je t'envie! on te laiffe à toi-même ; on ne contraint point tes defirs.

Maly toujours plus surprise de ce trouble dont elle ne fçauroit pénétrer la caufe, expofe à fon amie les avantages attachés à fon union avec le favori d'Edouard. Alix fe contente de répondre il eft vrai que Salisbury a l'honneur d'approcher le plus grand monarque de l'Europe. Maly, as-tu jamais vâ le roi ? qu'il eft digne en effet des hommages de l'Angleterre, des refpects du monde entier ! quel front noble & majeftueux ! quel regard à la fois fier & touchant ! qu'il a peu besoin de l'appareil de la grandeur pour faire fentir fa fupériorité !il infpire la vénération ... l'amour. Voilà de ces fouverains défignés par le ciel pour nous donner des loix. Je l'ai entrevû

à une fête où ma parente m'a conduite, & un coup d'œil a fuffi... Que la princeffe... Alix embarraffée à ces mots, se tait & rougit.

Cependant on fixe le jour du mariage de la fille du lord Varuccy avec le comte ; il eft célébré à la campagne, & elle eft, en quelque forte, traînée aux autels; l'hymen l'a pour jamais afservie à Salisbury, qui, le lendemain même de fes nôces, quitte fa femme pour aller avec le comte de Suffolk porter la guerre en Flandres, où divers fuccès les arrêtèrent.

Maly avoit fuivi la jeune comteffe au château de Salisbury. A peine cette dernière fe trouve en liberté, qu'elle remet un paquet cacheté entre les mains de fon amie. C'eft, dit-elle, la comteffe de Salisbury qui vous prie de garder un dépôt qu'il étoit permis à la fille de mylord Varuccy de pofféder; ma chere Maly, ne m'en parlez jamais, & fi j'étois affez faible pour vous le redemander, obftinez-vous à me le refufer; votre fermeté inébranlable me prouvera votre attachement ; je n'ai pas la force de détruire ce monument, dirai-je de mon infidélité à mon devoir; hélas ! je ne crois point l'avoir offenfé; qui fçait fe combattre, & remporter la

victoire, du moins en apparence, n'est-il pas digne de quelque eftime ? ah ! fi l'on pénétroit dans le cœur, que peu de vertus résisteroient à des regards févères !

La fortune fe laffa de favoriser le comte de Salisbury; il trouva en Flandres le terme de cette espèce d'afcendant qu'il avoit eu jufqu'à cette époque dans ses entreprises militaires ; Suffolk & lui furent battus & envoyés prifonniers à la cour de France où on les reçut avec cette confidération que le Français géné reux témoigne toujours à fes ennemis défaits.

Cette fâcheufe nouvelle caufa un violent chagrin à la comteffe: elle fentit en ce moment qu'elle étoit liée à Salisbury, & qu'une épouse partage la destinée de fon époux ; elle éprouva que l'amour-propre excite peut-être des mouvements auffi vifs que ceux de la tendreffe; Maly recevoit fes larmes, & elle s'étoit apperçue que la comteffe goûtoit une forte de plaifir à les répandre: il fembloit qu'elle cherchât à autoriser fa douleur. Les yeux d'une femme font quelquefois plus perçants que les nôtres. Maly entrevoyoit dans l'agitation de fon amie, quelque chofe de plus marqué qu'une trifteffe occafionnée par des difgraces dont il étoit aifé de prévoir la fin. D'ail

« AnteriorContinuar »