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devant icelle, avec quel respect & vénération il lui délaçoit les éguillettes & rubans de fa chauf fure!& obferverez qu'il y appliquoit un doulx & ar dent bayfer, alors qu'iceluy cuidoit que fa dame » ne s'en pouvoit appercevoir. Les trois mois de fervaige finis, le damoyfel en eftoyt moult plus » aymant, & Merveille n'en témoignoit la moindre ❤esmotion,de ce dont estoyt toufiours fort esbahie la cour du roy d'Yrlande.Le damoyfel avoit un chien lequel il n'euft donné pour tout ce qui eft fur terra » L'animal careffant que c'eftoyt prodige, ne man

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geoit que de la dextre de fon naistre, le fuyvoit partout, partageoit fa couchette avec luy, & bica eftoyt fon compaignon & fon défenseur, ayant eu cunes-fois failli contre larrons & meurtriers lef quels voloient mal au damoyfel: auffy le jeune » bachelier, comme l'avons dict, n'aymoit-il rien tant que fon chien, & avec raison & gratitude l'a voyt-il nommé fidèle. Merveille mire, un jour, l'animal fi cher à fon meftre, le flatte de fa palma doulcelette. Iceluy pense avoir cognu par telles blandices & mignardifes que Merveille avoyt vif defir d'avoir le chien tant aymé: il le lui remet toft avec leffe: ma-dame, faict-il, le meftre eft

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» voftre, bien eft-il convenable que le chien foic » vostre auffy ; & le povre animal, jaçoit qu'il euft la » royne des belles pour meftreffe,couroit toufiours au

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damoyfel alors qu'il l'appercevoit, & luy bailloit la patte;iceluy le baifoyt encore plus que par le passé, » pource que fa dame le baifoyt fouventes-fois. Il »eschoit par adventure vrayment fortuite que le damoyfel fe pourmenoit dans les vergiers & jardins du roy d'Yrlande; or c'eftoyt en la novelle faifon d'Avril, temps où les oyfelets ung petit échauffés » commencent à fe r'habiller de plumes naiffantes » & à se dégoyser, où la terre rajeunie fe revest de → fes acoutrements d'émeraude,& qu'on voit les fleurs poindre, & la violette amoureufe lever fa tefte gentille d'entre le gazon, & efpandre fon odeur > embasmée. Le damoyfel d'amour, en voyant ce, se fe condouloyt moult grandement & disoyt avec angoiffe amère : tout rit, & porte céans livrée de joye » & délectation ; n'y a que moi qui fouffre ! or véécy » des cris qui s'en viennent frapper son oreille:il cuide » avoir recognu la voix de fa bien-aymée ; il court devers l'endroit d'où ces fons yffoient. Quel fpeâa>>cle piteux & déconfortant s'offre à la veue d'iceluy ! » fa dame qu'un vilain géant fe préparoit à enlever; » elle fe lamentoit que c'estoyt pitié, & crioyt à plein

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gouzier: qui s'en vienne me délivrer de cet infame » & déloyal, il fera mon mary: j'en baille ma foy.

Le damoyfel qui n'eftoyt armé, bien qu'il n'eust » écu, ne morion, ne lance au poing, s'eftoyt avec » fa feule espée accouru à l'encontre du géant, en

lui criant: villain & mefchant, tu n'enimeneras » cette damoyfelle; lors commença une rude bataille, & Merveille en grant efmoy, pouffoit hautes clameurs. Le géant avoit une maffe d'acier dont il » pensoit affommer le jouvencel, lequel leger & dif>pos couloit fous la maffe pefante, & de fon efpée » atteignit finalement le vilain cueur de cet aultre Po

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lyphémus,& l'occit. Merveille délivrée, rendit gra» ces à Dieu,& à son libérateur,& di&t: gentil damoy» fel, ay promis de prendre efpous, pource que me voyoy près de mourir de male mort.Seroitce voftre voloir de tirer profit de ce mefchief? Nenny dame, → fe meist à repartir le damoyfel, vous rens votre foy, » & ne veus eftre voftre amy & mary que de vostre

plein confentement; Merveille le regardoit avec at»tention. Il continue: ma-dame, ne vous demande ❤ guerdon de vostre délivrance que la permission de » vous aymer toufiours, & de me dire vostre servant

jufques à trefpaffement; oncques n'en aurez, vous

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l'adjure, qui vous foyt plus foumis,& qui vous ayma ➡ d'amour plus fincère & plus honnefte. La dame lors » fe précipitant dans les bras d'iceluy : - Affez » d'épreves, affez; non, ne veus d'autre amy & mary que vous vous cognoiffez ce que c'eft qu'aymer; ne vous demande qui vous estes: on eft de haut lignaige, quand on eft auffy loyal & enamouré, Lo damoyfel pafmé d'ayfe, cheoit aux genoux de Merveille: Ce que je fuis ... ah ! le nom de » voftre bien-aymé n'eft-il pas au-deffus de tous les titres,grandeurs & noms? Si pourtant veuillez le fçavoir, fuis le fils du roy de Norwège. N'avoy defir. de devoir à la pompe & majefté royale, la bonne » adventure d'émouvoir le cueur de noble & gent damoyfelle; voloy luy plaire & mériter les affections par unique fentiment & fervaige amoureux.Eh bien, damoyfel, mon amy,fe print à dire Merveille d'un ton emmiellé & pourtant impofant, à voftre tour, fachiez en quel lieu avez mis voftre doulce fantayfie, » & qu'eft voftre amye & efpoufée : regardez arrière vous, Le damoyfel détourne la teste : il se treuve dans un chastel fuperbe, rayonnant d'or, d'yvoire & de pierreries; il veut manifefter fon esbahiffement » à Merveille: il la voit féante fur un throfne, toute

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>> parée de diamants & rubis,& belle comme Aurora; ➡elle luy tend la dextre, en proférant ces mots : ve» nez,mon bien-aymé, partager ce throfne avec celle qui vous ayme tant; vous êtes fils de souverain, → & moy, fuis une fée bienfaifante, comme vérez. Voloy pareillement que vous, cogneftre les vrayes » fieffes d'amour, & eftre aymée pour moi unique»ment: adonques ay prins la forme d'une parente » de la royne d'Yrlande. Defiroy vous soumettre à > conftantes épreves : fuis fatisfaite. Ayez toufiours > le gentil nom du damoyfel d'amour, & avec mon » cueur vous baille ma main, & tout mon pouvoir : » ce guerdon ne vous eftoyt que trop deu. Le damoy » fel ne favoit fe c'eftoyt fonge ou production de » magie; il efpoufa la fée ; ils s'aimèrent toufiours davantaige, & du depuis le damoyfel eft devenu le modèle des loyaux chevaliers, & desgents & fidèles amoureux ; ce qui a donné lieu à a. ces vers de bon ressouvenir :

Qui aime fans feintife

» Gent guerdon en attent.

Voilà, fire, continue Ribaumont, un bel exemple à fuivre ; quoique cette bagatelle ne foit qu'un conte, elle renferme une vérité inconteftable, que ce

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