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Henri III les LARMES DE SAINT PIERRE, poëme assez prolixe et d'un intérêt médiocre; mais les flatteries exagérées dont il encensait le prince, et qu'il devait démentir sans vergogne quelques années plus tard, lui valurent cinq cents écus, accompagnés de belles pro

messes.

Le séjour d'une douzaine d'années que fit Malherbe en Normandie et qu'il entrecoupa de quelques voyages en Provence, dut être assez triste. Sans secours de la part de sa famille, il se vit forcé d'emprunter pour vivre. C'est aussi pendant ce séjour qu'il eut la douleur de perdre ses deux premiers enfants. Il retourna alors auprès de sa femme, qui l'avait précédé en Provence et eut d'elle son dernier fils, Marc-Antoine, auquel il devait survivre encore.

A travers ces chagrins, ces voyages, ces changements de position, il n'avait cessé d'étudier et de travailler au développement de ses instincts poétiques; mais en continuant, comme on le voit dans ses premières stances, la tradition du XVIe siècle. Il est presque certain que beaucoup de vers de lui sont imprimés dans les MUSES RALLIÉES de d'Espinelle et dans d'autres recueils antérieurs à 1600. Mais ils ne sont pas signés, et si l'empreinte de sa première manière s'y trouve vivement marquée, ce n'est pas avec une certitude telle qu'on doive les lui attribuer sans autre preuve.

Les LARMES DE SAINT PIERRE signalent un premier progrès. Le vers y est plus châtié, la strophe plus fièrement dessinée; mais le poëme est déparé par des concetti du goût le plus détestable.

Il semble qu'à partir de ce moment Malherbe brisa

les Dieux qu'il avait jusqu'alors adorés. Désormais il étudiera ses prédécesseurs de plus près encore, mais ce sera pour les éplucher vers par vers, les déchirer, les soumettre au scalpel de l'analyse la plus méticuleuse, la plus acerbe, la plus impitoyable. Leurs incorrections, leurs fiertés juvéniles, leur élan désordonné, mais audacieux, il rejette tout, ne gardant que ce qui lui semble beau, correct et majestueux, pour l'enchâsser dans ses vers. Génie sans invention, il leur empruntera jusqu'à leurs rhythmes, mais il y cherchera la perfection et portera la langue à une correction jusqu'alors inconnue; il lui imposera des formes sévères, élégantes, harmonieuses, mais trop souvent monotones, froides, pesantes et compassées à force de régularité.

Le premier spécimen de cette manière, qui a fait de lui un des maîtres de la langue, fut l'Ode présentée en 1601 à Marie de Médicis, pour sa bienvenue en France lorsqu'elle passait à Aix en Provence, où séjournait alors le poëte.

Peu de temps après il écrivit sa célèbre CONSOLATION A DU PERRIER; mais il lui fallut sept ans pour l'amener au point où nous la voyons aujourd'hui, et les strophes qui sont dans la mémoire de chacun étaient tout autres dans la première édition.

Quatre ans se passèrent encore avant qu'il fût appelé à la Cour. Sa réputation l'y avait toutefois précédé depuis longtemps.

« Son nom et son mérite, au dire de Racan, furent connus de Henri le Grand par le rapport avantageux que lui en fit M. le cardinal du Perron. Un jour, le

roi lui demanda s'il ne faisoit plus de vers; il lui dit que, depuis qu'il lui avoit fait l'honneur de l'employer en ses affaires, il avoit tout à fait quitté cet exercice, et qu'il ne falloit point que personne s'en mêlât après M. de Malherbe, gentilhomme de Normandie, habitué en Provence; qu'il avoit porté la poésie françoise à un si haut point que personne n'en pouvoit jamais approcher.

« Le Roi se ressouvint de ce nom de Malherbe; il en parloit souvent à M. des Yveteaux, qui étoit alors précepteur de M. de Vendôme. Ledit sieur des Yveteaux, toutes les fois qu'il lui en parloit, lui offroit de le faire venir de Provence; mais le Roi, qui étoit ménager, craignoit que, le faisant venir de si loin, il seroit obligé de lui donner récompense, du moins de la dépense de son voyage; ce qui fut cause que M. de Malherbe n'eut l'honneur de faire la révérence au Roi que trois ou quatre ans après que M. le cardinal du Perron lui en eut parle; et, par occasion, étant venu à Paris pour ses affaires particulières, M. des Yveteaux prit son temps pour donner avis au Roi de sa venue, et aussitôt il l'envoya querir. C'étoit en l'an 1605. Comme il étoit sur son partement pour aller en Limousin, il lui commanda de faire des vers sur son voyage; ce qu'il fit, et les lui présenta à son retour. C'est cette excellente pièce qui commence :

O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées...1

« Le roi trouva ces vers si admirables qu'il

I. Voyez ci-après, page 108.

désira de le retenir à son service, et commanda à M. de Bellegarde de le garder jusques à ce qu'il l'eût mis sur l'état de ses pensionnaires. M. de Bellegarde lui donna sa table, et l'entretint d'un homme et d'un cheval, et mille livres d'appointement. »>

Cette manière de récompenser les gens paraîtrait assez singulière, si l'on ne savait, par Huet, que M. de Bellegarde, en sa qualité de grand-écuyer de France, disposa en faveur de Malherbe d'une place d'écuyer du roi et le fit peu après nommer gentilhomme de la chambre. C'était pour le poëte une existence presque opulente; mais il ne laissa pas, même après avoir hérité de son père, en 1606, de toujours solliciter de Henri IV une pension que le Roi, de son côté, ne se lassait jamais de lui pro

mettre.

Désormais poëte attitré de la Cour, chef reconnu de la nouvelle école, bienvenu de la famille royale et des grands, Malherbe ne quitta plus Paris. Ses relations avec sa femme, restée en Provence, furent assez affectueuses; mais il se contenta de l'aimer de loin, et ne la revit plus que deux fois.

La mort fatale de Henri IV ne diminua point sa faveur et la reine mère récompensa, plus généreusement que ne l'avait fait son époux, l'attachement du poëte et du courtisan.

Un événement funeste vint attrister et abréger ses dernières années. Son fils Marc-Antoine, qui avait le caractère fougueux de sa famille, après avoir, dans un duel, frappé à mort son adversaire et s'être fait donner non sans peine des lettres de rémission, fut à

son tour tué, dans une rencontre, par Paul Fortia, seigneur de Piles.

« Je

Malherbe éprouva d'abord, comme à la mort de ses autres enfants, une affliction profonde et vraie; mais il ne tarda pas à se poser dans une attitude de douleur théâtrale et finit par se résigner presque à un accommodement, au prix de dix mille écus. croirai votre conseil, disait-il à Balzac, je pourrai prendre de l'argent puisqu'on m'y force; mais je proteste que je ne garderai pas un teston. J'emploierai le tout à faire bâtir un mausolée à mon fils. »

« Il usa du mot mausolée, au lieu de celui de tombeau, observe Balzac, et fit le poëte partout. »

L'accommodement ne réussit pas, et Malherbe alla, en juillet 1628, trouver le roi devant La Rochelle, pour le solliciter contre ses adversaires. Il contracta dans ce voyage le germe d'une maladie qui mina rapidement sa robuste santé et dont il mourut à l'âge de soixante-treize ans. Ce fut le 16 octobre 1628, peu de temps après son retour à Paris, qu'il expira, ayant auprès de lui les poëtes Yvrande et Porchères d'Arbaud. Ce dernier était de ses parents. Quant à sa femme, elle était à Aix en Provence, âgée, malade peut-être, et ne lui survécut que vingt mois.

Sauf une appréciation rapide des débuts littéraires de Malherbe, nous n'avons fait jusqu'ici que raconter sa vie, en la débarrassant de toutes les anecdotes dont

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