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XV

SUR L'ÉLOIGNEMENT PROCHAIN

D'UNE DAME

1608

Le dernier de mes jours est dessus l'orison:
Celle dont mes ennuis avoient leur guerison
S'en va porter ailleurs ses appas et ses charmes.
Je fais ce que je puis, l'en pensant divertir;
Mais tout m'est inutile, et semble que mes larmes
Excitent sa rigueur à la faire partir.

Beaux yeux, à qui le Ciel et mon consentement,
Pour me combler de gloire, ont donné justement
Dessus mes volontez un empire supréme,
Que ce coup m'est sensible, et que tout à loisir
Je vais bien épreuver qu'un déplaisir extréme
Est tousjours à la fin d'un extréme plaisir !

Quel tragique succez ne dois-je redouter
Du funeste voyage où vous m'allez oster

Pour un terme si long tant d'aimables delices,
Puis que, vostre presence estant mon element,
Je pense estre aux enfers et souffrir leurs supplices
Lorsque je m'en separe une heure seulement!

Au moins si je voyois cette fiere beauté,
Préparant son départ, cacher sa cruauté
Dessous quelque tristesse ou feinte ou veritable,
L'espoir, qui volontiers accompagne l'amour,
Soulageant ma langueur, la rendroit supportable,
Et me consoleroit jusques à son retour.

Mais quel aveuglement me le fait desirer?
Avec quelle raison me puis-je figurer

Que cette ame de roche une grace m'octroye,
Et qu'ayant fait dessein de ruïner ma foy,
Son humeur se dispose à vouloir que je croye
Qu'elle a compassion à s'éloigner de moy?

Puis, estant son merite infiny comme il est,
Dois-je pas me resoudre à tout ce qui luy plaist,
Quelques loix qu'elle face et quoy qu'il m'en avienne,
Sans faire cette injure à mon affection,

D'appeler sa douleur au secours de la mienne,
Et chercher mon repos en son affliction?

Non, non, qu'elle s'en aille, à son contentement,
Ou dure ou pitoyable, il n'importe comment;

Je n'ay point d'autre vœu que ce qu'elle souhaite;
Et, quand de mes souhaits je n'aurois jamais rien,
Le scrt en est jeté, l'entreprise en est faite,
Je ne sçaurois brusler d'autre feu que du sien.

Je ne ressemble point à ces foibles esprits
Qui, bien-tost delivrés comme ils sont bien-tost pris,
En leur fidelité n'ont rien que du langage:
Toute sorte d'objets les touche également.
Quant à moy, je dispute avant que je m'engage;

Mais, quand je l'ay promis, j'aime eternellement.

XVI

A MADAME LA PRINCESSE DE CONTI

POUR M. DE BELLEGARDE

1608

Dure contrainte de partir,
A quoy je ne puis consentir,
Et dont je ne m'ose deffendre,
Que ta rigueur a de pouvoir,
Et que tu me fais bien apprendre
Quel tyran c'est que le devoir!

J'auray donc nommé ces beaux yeux
Tant de fois mes rois et mes dieux,
Pour aujourd'huy n'en tenir conte,
Et permettre qu'à l'avenir
On leur impute cette honte
De ne m'avoir sceu retenir'

Ils auront donc ce deplaisir
Que je meure aprés un desir

Où la vanité me convie,

Et qu'ayant juré si souvent

D'estre auprés d'eux toute ma vie,
Mes serments s'en aillent au vent!

Vrayement je puis bien avoüer
Que j'aurois tort de me loüer
Par-dessus le reste des hommes;
Je n'ay point d'autre qualité
Que celle du siecle où nous sommes :
La fraude et l'infidelité.

Mais à quoy tende nt ces discours,
O beauté qui de mes amours
Estes le port et le naufrage?
Ce que je dy contre ma foy
N'est-ce pas un vray témoignage
Que je suis déja hors de moy?

Vostre esprit, de qui la beauté
Dans la plus sombre obscurité
Se fait une insensible voye,
Ne vous laisse pas ignorer
Que c'est le comble de ma joye
Que l'honneur de vous adorer.

Mais pourrois-je n'obeïr pas
Au Destin, de qui le compas

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