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«S'il m'avient quelquefois de clorre les paupieres, Aussi-tost ma douleur en nouvelles matieres

Fait de nouveaux efforts;

Et, de quelque souci qu'en veillant je me ronge,
Il ne me trouble point comme le meilleur songe
Que je fais quand je dors.

<< Tantost cette beauté, dont ma flamme est le crime,
M'apparoist à l'autel, où comme une victime
On la veut égorger;

Tantost je me la voy d'un pirate ravie,
Et tantost la fortune abandonne sa vie
A quelque autre danger.

<< En ces extrémitez, la pauvrette s'écrie : Alcandre, mon Alcandre, oste-moi, je te prie, << Du malheur où je suis! »

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La fureur me saisit, je mets la main aux armes;
Mais son destin m'arreste, et luy donner des larmes,
C'est tout ce que je puis.

<< Voila comme je vy; voila ce que j'endure,
Pour une affection que je veux qui me dure
Au delà du trépas.

Tout ce qui me la blasme offense mon oreille,
Et qui veut m'affliger, il faut qu'il me conseille
De ne m'affliger.pas.

« On me dit qu'à la fin toute chose se change,
Et qu'avecque le temps les beaux yeux de mon ange
Reviendront m'éclairer;

Mais, voyant tous les jours ses chaisnes se rétraindre,
Desolé que je suis, que ne dois-je point craindre,
Ou que puis-je esperer?

<< Non, non; je veux mourir, la raison m'y convie; Aussi bien le sujet qui m'en donne l'envie

Ne peut estre plus beau;

Et le sort, qui détruit tout ce que je consulte,
Me fait voir assez clair que jamais ce tumulte
N'aura paix qu'au tombeau. »

Ainsi le grand Alcandre aux campagnes de Seine
Faisoit, loin de témoins, le recit de sa peine,
Et se fondoit en pleurs.

Le fleuve en fut ému, ses nymphes se cacherent,
Et l'herbe du rivage où ses larmes toucherent

Perdit toutes ses fleurs.

XXII

[SUR LE MÊME SUJET]

1610

«Donc cette merveille des cieux,
Pource qu'elle est chere à mes yeux,
En sera tousjours esloignée,
Et mon impatiente amour,
Par tant de larmes témoignée,
N'obtiendra jamais son retour!

<< Mes vœux donc ne servent de rien !
Les dieux, ennemis de mon bien,
Ne veulent plus que je la voye;
Et semble que les rechercher
De me permettre cette joye
Les invite à me l'empescher.

<< O beauté, Reyne des beautez! Seule de qui les volontez

Maiherbe.

19

Vous lisez bien en mon visage
Ce que je souffre en ce voyage,

Dont le Ciel m'a voulu punir;

Et sçavez bien aussi que je ne vous demande,
Estant loin de Madame, une grace plus grande
Que d'aimer sa memoire et m'en entretenir.

Dites-moy donc sans artifice,

Quand je luy voüay mon service,
Failly-je en mon élection?

N'est-ce pas un objet digne d'avoir un temple,
Et dont les qualitez n'ont jamais eu d'exemple,
Comme il n'en fut jamais de mon affection?

Au retour des saisons nouvelles,
Choisissez les fleurs les plus belles
De qui la campagne se peinct;

En trouverez-vous une où le soin de nature
Ait avecques tant d'art employé sa peinture
Qu'elle soit comparable aux roses de son teinct?

Peut-on assez vanter l'yvoire

De son front où sont en leur gloire

La douceur et la majesté,

Ses yeux moins à des yeux qu'à des soleils semblables, Et de ses beaux cheveux les nous inviolables,

D'où n'échappe jamais rien qu'elle ait arreste?

Adjoûtez à tous ces miracles
Sa bouche, de qui les oracles

Ont tousjours de nouveaux thresors;

Prenez garde à ses mœurs, considerez-la toute : Ne m'avoürez-vous pas que vous estes en doute Ce qu'elle a plus parfait, ou l'esprit, ou le corps?

Mon Roy, par son rare merite,

A fait que la terre est petite

Pour un nom si grand que le sien;

Mais, si mes longs travaux faisoient cette conqueste, Quelques fameux lauriers qui luy couvrent la teste, Il n'en auroit pas un qui fust égal au mien.

Aussi, quoy que l'on me propose
Que l'esperance m'en est close.

Et qu'on n'en peut rien obtenir,

Puis qu'à si beau dessein mon desir me convie,
Son extréme rigueur me coustera la vie,

Ou mon extréme foy m'y fera parvenir.

Si les tygres les plus sauvages
Enfin apprivoisent leurs rages,

Flattez par un doux traitement,

Par la mesme raison, pourquoy n'est-il croyable
Qu'à la fin mes ennuis la rendront pitoyable,
Pourveu que je la serve à son contentement?

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