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Adjoûtez à tous ces miracles
Sa bouche, de qui les oracles

Ont tousjours de nouveaux thresors;

Prenez garde à ses mœurs, considerez-la toute : Ne m'avoürez-vous pas que vous estes en doute Ce qu'elle a plus parfait, ou l'esprit, ou le corps?

Mon Roy, par son rare merite,

A fait que la terre est petite

Pour un nom si grand que le sien;

Mais, si mes longs travaux faisoient cette conqueste,
Quelques fameux lauriers qui luy couvrent la teste,
Il n'en auroit pas un qui fust égal au mien.

Aussi, quoy que l'on me propose
Que l'esperance m'en est close

Et qu'on n'en peut rien obtenir,

Puis qu'à si beau dessein mon desir me convie,
Son extréme rigueur me coustera la vie,

Ou mon extréme foy m'y fera parvenir.

Si les tygres les plus sauvages
Enfin apprivoisent leurs rages,

Flattez par un doux traitement,

Par la mesme raison, pourquoy n'est-il croyable
Qu'à la fin mes ennuis la rendront pitoyable,
Pourveu que je la serve à son contentement?

l'absence

Toute ma peur est que
Ne luy donne quelque licence

De tourner ailleurs ses appas,

Et qu'estant, comme elle est, d'un sexe variable, Ma foy, qu'en me voyant elle avoit agreable, Ne luy soit contemptible en ne me voyant pas.

Amour a cela de Neptune,

Que tousjours à quelque infortune

Il se faut tenir preparé;

Ses infidelles flots ne sont point sans orages:
Aux jours les plus sereins, on y fait des naufrages,
Et mesme dans le port on est mal assuré.

Peut-estre qu'à cette mesme heure

Que je languy, souspire et pleure,
De tristesse me consumant,

Elle, qui n'a soucy de moy, ny de mes larmes,
Estale ses beautez, fait montre de ses charmes,
Et met en ses filets quelque nouvel amant.

Tout beau, pensers melancoliques,
Auteurs d'avantures tragiques,

Dequoy m'osez-vous discourir?

Impudents boute-feux de noise et de querelle, Ne sçavez-vous pas bien que je brusle pour elle, Et que me la blasmer, c'est me faire mourir!

Dites-moy qu'elle est sans reproche,
Que sa constance est une roche,
Que rien n'est égal à sa foy;

Préchez-moy ses vertus, contez-m'en des merveilles,
C'est le seul entretien qui plaist à mes oreilles;
Mais, pour en dire mal, n'approchez point de moy.

XXIV

SUR LA MORT DE HENRY LE GRAND

1610

«En fin l'ire du Ciel et sa fatale envie,
Dont j'avois repoussé tant d'injustes efforts,
Ont détruit ma fortune, et, sans m'oster la vie,
M'ont mis entre les morts.

« Henry, ce grand Henry, que les soins de nature
Avoient fait un miracle aux yeux de l'univers,
Comme un homme vulgaire est dans la sepulture
A la mercy des vers!

<< Belle ame,

beau patron des celestes ouvrages, Qui fus de mon espoir l'infaillible recours,

Quelle nuict fut pareille aux funestes ombrages
Où tu laisses mes jours!

« C'est bien à tout le monde une commune playe,
Et le malheur que j'ay, chacun l'estime sien;
Mais en quel autre cœur est la douleur si vraye
Comme elle est dans le mien?

«Ta fidele compagne, aspirant à la gloire.
Que son affliction ne se puisse imiter,
Seule de cet ennuy me debat la victoire,
Et me la fait quitter.

« L'image de ses pleurs, dont la source feconde Jamais depuis ta mort ses vaisseaux n'a taris, C'est la Seine en fureur qui deborde son onde Sur les quaiz de Paris.

« Nulle heure de beau temps ses orages n'essuye,
Et sa grace divine endure en ce tourment
Ce qu'endure une fleur que la bise ou la pluie
Bat excessivement.

Quiconque approche d'elle a part à son martire, Et par contagion prend sa triste couleur, Car, pour la consoler, que luy sçauroit-on dire En si juste douleur?

«Revien la voir, grande ame! oste-luy cette nuë
Dont la sombre espesseur aveugle sa raison,
Et fay du mesme lieu d'où sa peine est venuë
Venir sa guerison.

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