Enfin cette beauté m'a la place renduë, Qu'elle avoit contre moy si longtemps defenduë: Mes vainqueurs sont vaincus; ceux qui m'ont fait la loy, La reçoivent de moy.
J'honore tant la palme acquise en cette guerre Que, si, victorieux des deux bouts de la terre, J'avois mille lauriers de ma gloire témoins, Je les priserois moins.
Au repos où je suis, tout ce qui me travaille, C'est la doute que j'ay qu'un malheur ne m'assaille, Qui me separe d'elle, et me face lascher
Un bien que j'ay si cher.
Il n'est rien icy-bas d'eternelle durée: Une chose qui plaist n'est jamais asseurée; L'épine suit la rose, et ceux qui sont contens Ne le sont pas long-temps.
Et puis qui ne sçait point que la mer amoureuse En sa bonace mesme est souvent dangereuse, Et qu'on y voit tousjours quelques nouveaux rochers, Incognus aux nochers?
Déja de toutes parts tout le monde m'éclaire; Et bien-tost les jaloux, ennuyez de se taire, Si les vœux que je fais n'en detournent l'assaut Vont médire tout haut.
Peuple, qui me veux mal, et m'imputes à vice D'avoir esté payé d'un fidelle service,
Où trouves-tu qu'il faille avoir semé son bien, Et ne recueillir rien?
Voudrois-tu que ma dame, estant si bien servie Refusast le plaisir où l'âge la convie,
Et qu'elle eust des rigueurs à qui mon amitié Ne sceust faire pitié?
Ces vieux contes d'honneur, invisibles chimeres, Qui naissent aux cerveaux des maris et des meres, Estoient-ce impressions qui pûssent aveugler
Non, non; elle a bien fait de m'estre favorable, Voyant mon feu si grand et ma foy si durable; Et j'ay bien fait aussi d'asservir ma raison En si belle prison.
C'est peu d'experience à conduire sa vie, De mesurer son aise au compas de l'envie, Et perdre ce que l'âge a de fleur et de fruit Pour éviter un bruit.
De moy, que tout le monde à me nuire s'appreste, Le Ciel à tous ses traits face un but de ma teste: Je me suis résolu d'attendre le trépas,
Plus j'y voy de hazard, plus j'y trouve d'amorce : Où le danger est grand, c'est là que je m'efforce; En un sujet aisé moins de peine apportant,
Un courage élevé toute peine surmonte: Les timides conseils n'ont rien que de la honte, Et le front d'un guerrier aux combas étonné Jamais n'est couronné.
Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle, S'il plaist à mes destins que je meure pour elle, Amour en soit loué! je ne veux un tombeau
Plus heureux ny plus beau.
Ainsi, quand Mausole fut mort, Artemise accusa le sort,
De pleurs se noya le visage, Et dit aux astres innocens Tout ce que fait dire la rage
Quand elle est maistresse des sens.
Ainsi fut sourde au reconfort,
Quand elle eut trouvé dans le port La perte qu'elle avoit songée, Celle de qui les passions Firent voir à la mer Egée
Le premier nid des Alcyons.
Vous n'estes seule en ce tourment
Qui témoignez du sentiment,
O trop fidelle Caritée ! En toutes ames l'amitié, De mesmes ennuis agitée, Fait les mesmes traits de pitié.
De combien de jeunes maris, En la querelle de Pâris, Tomba la vie entre les armes, Qui fussent retournez un jour, Si la mort se payoit de larmes, A Mycenes faire l'amour.
Mais le Destin, qui fait nos lois Est jaloux qu'on passe deux fois Au deçà du rivage blesme; Et les dieux ont gardé ce don Si rare que Jupiter mesme Ne le sceut faire à Sarpedon.
Pourquoy donc si peu sagement, Démentant votre jugement, Passez-vous en cette amertume Le meilleur de votre saison, Aimant mieux plaindre par coustume Que vous consoler par raison?
Nature fait bien quelque effort Qu'on ne peut condamner qu'à tort;
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