Mais Ménénius représenta qu'il n'étoit pas temps de s'arrêter à une vaine formalité; que le falut de la République, & une nécessité indifpensable à laquelle les Dieux même cédoient, obligeoient le Sénat de rechercher le peuple. Que Rome la terreur de ses voisins, étoit comme afliégée par ses propres Citoyens; qu'à la verité ils n'avoient encore fait aucun acte d'hostilité, mais que c'étoit par cette même raison qu'il falloit empêcher le commencement d'une guerre qui ne pouvoit être que funeste à l'Etat, quel qu'en fût le succès, Il ajoûta que les Sabins, les Volfques, les Eques & les Herniques, tous ennemis irréconciliables du nom Romain, se seroient déja joints aux rebelles, s'ils n'avoient peut-être pas jugé plus à propos de laisser les Romains s'affoiblir, & se détruire par leurs propres divisions. Qu'il ne falloit pas espérer de grands secours de leurs alliez; que les peuples de la Campanie & de la Toscane n'avoient qu'une foi douteuse, & toujours foumise aux événemens ; qu'on n'etoit guéres plus afsuré des Latins, nation jalouse de la supériorité de Rome, & toujours avide de la nouveauté. Que les Patriciens se trompoient, s'ils se flattoient de pouvoir résister avecleurs Cliens & leurs esclaves à tant d'ennemis domestiques & étrangers, qui s'uniroient pour détruire une puissance qui leur étoit odieuse D.H. 1. 9. M. Valerius dont nous venons 1 de parler, & qui avoit l'esprit aigri contre le Sénat, ajouta à l'avis de Ménénius, qu'on devoit tout craindre des desseins des mécontens, dont la plupart avoient déja abandonné le soin de leurs héritages & la culture des terres, comme des gens qui renonçoient à leur patrie, & qui fongeoient à s'établir ailleurs. QueRome alloit être déserte, & que le Sénat pour être trop infléxible, ruinoit les principales forces de la République, par la retraite forcée & la désertion d'un si grand nombre de Citoyens. Que si au contraire on eut suivi les conseils qu'il donna pendant sa Dictature, on auroit pû par l'abolition des dettes, conTerver l'union & la paix entre les différens Ordres de l'Etat; mais qu'il ne falloit pas se flatter que le peuple tant de fois trompé par les vaines promesses du Sénat, se con tentât à présent de cette abolition. Qu'il craignoit bien que les mauvais traitemens qu'il avoit essuyez, ne l'engageassent à demanderencore des fûretez pour la confervation de ses droits & de fa liberté. Qu'on ne pouvoit disconvenir que la plupart des Plébéïens se voyoient dépoüillez de leurs héritages; qu'on enchaînoit les malheureux comme des criminels, & qu'ils se plaignoient peut-être avec justice, que les Nobles & les Patriciens, au préjudice de la constitution originaire de l'Etat, ne travailloient qu'à se rendre seuls maîtres du Gouvernement. Que la création d'un Dictateur, invention moderne du Sénat, rendoit inutile la Loi Valeria, le réfuge du peuple, & l'azile de la liberté. Que cette puissance absoluë confiée à un seul homme, en feroit quelque jour le tyran de sa patrie; que ces nouveautez & ces ES changemens avoient leur source dans les maximes impérieuses d'Appius Claudius, & de ses semblables, quine paroissent occupez que du dessein d'établir la domination des Nobles sur les ruines de la liberté publique, & de réduire des Citoyens libres à la vile condition de sujets & d'esclaves du Sénat. D. H.1.6. Appius se leva quand ce fut fon tour à parler, & adressant la parole à M. Valerius : » Si vous vous é» tiez renfermé, lui dit-il, à dire >> simplement votre avis, sans m'at>> taquer si injustement, vous ne >> vous feriez pas exposé à enten>> dre aujourd'hui des veritez peu >> agreables. Mais avant que de les > exposer à la vûë de cette Com>> pagnie, il est juste de répondre >> à vos calomnies. Dites-moi, Va> lerius, quels font les Romains >> que j'ai poursuivis en Justice >> pour les obliger de me payer ce >> qu'ils me devoient? Nommezles >> Citoyens que j'ai retenus dans >> les chaînes; allez jusqu'au Mont >> Velie, & cherchez parmi cette >> foule de mécontens, s'il y en a , un seul qui se plaigne qu'il n'a c quitté la Ville que par la crainte << que je ne le fisse arrêter. Tout le « monde sçait au contraire que j'ai « traité mes debiteurs comme mes « Cliens & mes amis; que fans égard" à d'anciennes dettes, je les ai fe- « courus gratuitement dans leurs besoins, & qu'autant qu'il a été c en moi, les Citoyens ont toûjours été libres. Ce n'est pas que je pré-c tende proposer ma conduite pour regle de celle des autres; je fou tiendrai toujours l'autorité des « Loix en faveur de ceux qui y auront recours. Je suis même per- « suadé qu'à l'égard de certains « debiteurs, & de ces gens qui paf-c fent leur vie dans la moleffe & les débauches, il y a autant de justice à s'en faire payer, qu'il eft honnête & genereux de remettre les « dettes à des Citoyens paisibles & « laborieux, mais qui par malheur « font tombez dans une extrême « indigence: telle a été ma condui-« te, & telles font ces maximes im-" perieuses qu'on me reproche. « Mais je me fuis, dit-on, declaré « le Partisan des Grands, & c'est « |