peuple, & qui défendent fes in- « terêts publics & particuliers. Si « vous êtes venus ici avec une vo- « lonté fincere de nous donner la « paix, vous ne pouvez rejetter << une propofition fi équitable.

Le peuple qui est toujours de l'avis du dernier qui parle, applaudit auffi-tôt au difcours de Brutus. Les députez furent extrêmement furpris d'une pareille demande; ils s'éloignerent un peu de l'Affemblée pour conferer enfemble, & après y être retournez, Ménénius leur dit qu'ils demandoient une chofe bien extraordinaire, qui même dans la fuite pourroit être la fource de nouvelles diffentions, & qui paffoit abfolument leurs instructions & leurs pouvoirs ; que cependant M. Valerius, & quelques-uns des Commiffaires en alloient faire leur rapport au Sénat, & qu'ils ne feroient pas long-temps fans en rap. porter la réponse.

Ces Commiffaires fe rendirent en diligence à Rome; on convoqua auffi-tôt l'affemblée du Sé

pat,

où ils expoferent les nou

velles prétentions du peuple. M¿ Valerius s'en rendit le protecteur: il reprefenta qu'il ne falloit pas efperer de pouvoir gouverner un peuple guerrier, foldat & citoyen tout enfemble, comme on pourroit faire de paifibles Bourgeois qui n'auroient jamais quitté leurs foyers domeftiques. Que la guerre & l'exercice continuel des armes infpiroient une forte de courage peu compatible avec cette fervile dépendance qu'on vouloit éxiger de ces braves foldats: qu'il y avoit même de la juftice à traiter avec de grands égards un peuple genereux, qui aux dépens de fon fang avoit éteint la tyrannie; qu'il étoit d'avis de leur accorder les Officiers particuliers qu'ils demandoient; & que peut-être de pareils Inspecteurs ne feroient pas inutiles dans un Etat libre, pour veiller fur ceux qui parmi les Grands feroient tentez de porter leur autorité trop loin.

Appius ne put entendre ce difcours fans frémir d'indignation. Il prit les Dieux & les hommes à témoin de tous les maux que cau

feroit à la République une pareille innovation dans le Gouvernement: & comme fifon zele & fa colere lui euffent tenu lieu d'infpiration, il prédit au Sénat que par un excès de facilité, il alloit laiffer établir un Tribunal qui s'éleveroit infenfiblement contre fon autorité, & qui la détruiroit à la fin. Mais ce généreux Sénateur fut peu écouté, & on ne regarda fes remontrances que comme le discours d'un homme attaché avec opiniâtreté à fon fentiment, & chagrin de ce qu'on ne le fuivoit pas. Le parti contraire prévalut; la plupart des Sénateurs las de ces divifions, vouloient la paix à quelque prix que ce fût ; ainfi prefque d'un commun accord on confentit à la création de ces nouveaux Magiftrats, qui furent appellez Tribuns du peuple.

Il en fut fait un Senatus-Confulte qui renfermoit en même tems l'abolition des dettes. Les envoyez du Sénat le porterent au camp, comme le fceau de la paix. Il fembloit que le peuple n'eût plus rien qui le retînt hors de

Rome; mais les chefs de la fédi tion ne fouffrirent point qu'on fe feparât avant qu'on eût procedé à l'élection des nouveaux Magiftrats du peuple. L'Affemblée fe tint dans le camp même; on prit les aufpices; les voix & les fuffrages furent recueillis par Centuries, & on élut pour les premiers Tribuns du peuple, felon Denis d'Halicarnaffe, L. Junius Brutus, & C. Sicinius Bellutus, les chefs de la révolte, qui affocierent en même temps à leur dignité C. & P. Licinius, & Sp. Icilius Ruga. TiteLive prétend que C. Licinius & Lucius Albinus furent les premiers Tribuns qui fe donnerent trois Collegues, parmi lefquels on compte Sicinius Bellutus; & cet Hiftorien ajoute qu'il y avoit des Auteurs qui prétendoient qu'il n'y eut d'abord que deux Tribuns élûs dans cette Affemblée.

Quoi qu'il en foit, ces premiers Tribuns & ces chefs de la fédition, pour prévenir le reffentiment du Sénat, eurent l'adreffe d'intereffer tout le corps de la Nation dans leur confervation. Le

Peuple avant que de quitter le camp, déclara par leur confeil, la perfonne de fes Tribuns facrée. Il en fut fait une loi par laquelle il étoit défendu fous peine de la vie, de faire aucune violence à un Tribun, & tous les Romains furent obligez de jurer par les fermens les plus folemnels l'obfervation de cette loi. Le peuple facrifia enfuite aux Dieux fur la montagne D. H, 1. même, qu'on appella depuis le Mont Sacré, d'où il rentra dans Rome à la fuite de fes Tribuns & des Députez du Sénat.

Fin du premier Livre.