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béïens qu'il regardoit toujours comme fes enfans. La Loi fut reçûë par un consentement general des deux Ordres. Le peuple content d'avoir augmenté la puiffance de fes Tribuns, fupportoit la famine avec patience; & dans fa mifere il confervoit encore affez d'équité pour refpecter ces grands hommes qui lui refiftoient avec tant de courage & de fermeté.

La ville demeura quelque temps tranquille, mais l'abondance produifit ce que la famine n'avoit pû faire; & une flotte chargée de grains, & qui arriva aux côtes de Rome, fournit une nouvelle occafion aux Tribuns d'étendre leur pouvoir, & de ralumer la fédition.

P. Valerius, & L. Geganius que le Sénat avoit envoyez en Sicile, comme nous l'avons dit, en revinrent avec un grand nombre de Vaiffeaux chargez de bled, fous le An de RoConfulat de M. Minucius & de A, me 262, Sempronius. Gelon Tyran de Sicile en avoit fait préfent de la meilleure partie, & les envoyez du Sénat avoient acheté le furplus

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des deniers publics. Il étoit alors question du prix qu'on y mettroit, les Tribuns furent mandez dans le Sénat pour en dire leur avis. Les Sénateurs qui n'avoient pour objet que de rétablir une parfaite intelligence entre le peuple & le Sénat, opinerent à ce qu'on diftribuât gratuitement aux plus pauvres le bled qui venoit de la libcralité de Gelon, & qu'on vendît à vil prix celui qui auroit été acheté des deniers publics. Mais quand ce fut à Coriolan à dire fon avis, ce Senateur à qui l'inftitution du Tribunat étoit odieufe, foutint que cette condefcendance du Sénat pour les befoins du peuple, ne ferviroit qu'à nourrir fon infolence ; qu'on ne le retiendroit jamais dans le devoir que par la mifere, & que le temps étoit enfin venu de venger la Majefté du Sénat violée par des féditieux, dont les chefs, par un nouveau crime, avoient extorqué des dignitez comme la récompenfe de leur rebellion. Ce fut ainfi que s'expliqua ce Senateur en prefence même des Tribuns.

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Mais avant que de rapporter les fuites de cette affaire, je ne crois pas que nous puiffions nous difpenfer de faire connoître un peu plus particulierement un homme qui va jouer un fi grand rôle dans cet endroit de l'Hiftoire, & dont la fortune eut plus d'éclat bonheur.

que de

Caïus Marcius Coriolanus étoit Plut in Co. iffu d'une des plus illuftres famil- riol. les Patriciennes de Rome. On lui avoit donné le furnom de Coriolan pour avoir emporté l'épée à la main Corioles une des principales villes des Volfques. Ayang perdu fon pere dès fa plus tendre jeuneffe, il fut élevé avec un grand foin par fa mere appellée Veturie, femme d'une auftere vertu, & qui n'avoit rien oublié pour infpirer fes fentimens à son fils.

Coriolan étoit fage, frugal, defintereffé, d'une probité exacte, attaché inviolablement à l'obfervation des Loix. Avec ces vertus paifibles jamais on n'avoit vû une fi haute valeur, & tant de capacité pour le métier de la Guerre. Il fembloit qu'il fût né Général;

mais il étoit dur & impérieux dans le commandement; fevere aux autres comme à lui-même ; ami genereux; implacable ennemi; trop fier pour un Républicain. Content de la droiture de fes intentions, il alloit au bien fans ménagement & fans ces infinuations fi neceffaires dans un Etat, dont l'égalité & la modération faifoient le fondement. Il avoit demandé le Confulat l'année précedente, & la plupart des Senateurs perfuadez qu'un fi grand Capitaine rendroit des fervices importans à l'Etat, s'il étoit revêtu de cette dignité, l'avoient briguée en fa faveur. Ce fut un titre d'exclufion à l'égard du peuple que cette recommandation des Grands. Les Tribuns qui redoutoient ce courage élevé & cette grande fermeté de Coriolan, avoient fait envisager aux Plébéïens les follicitations du Sénat comme une conf piration fecrete contre leur Ordre: c'eft ce qui fit que le peuple lui refufa fes fuffrages. Ce refus lui fut très-fenfible, & jetta dans fon efprit de yifs reffentimens qu'il

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Tite Liva

fit éclater dans cette occafion. » Si le peuple prétend, difoit-il « en plein Senat, avoir part à nos « liberalitez, s'il demande des vi- « vres à vil prix, qu'il rende au Senat fes anciens droits, & qu'il efface jufqu'aux traces des der- «< nieres féditions. Pourquoi ver- « rai-je dans la place & à la tête « du peuple, des Magiftrats in- « connus à nos peres, former dans « Dec.1. l'enceinte de la même Ville com- " me deux Républiques différen- « tes? Souffrirai-je un Sicinius, un Brutus regner imperieufement «< dans Rome, moi qui n'ai pû y fouffrir des Rois? Serai-je réduit «< à ne regarder qu'avec crainte des « Tribuns qui ne doivent leur puiffance qu'à notre propre foiblef-« fe? Ne fouffrons pas plus long-« temps une telle indignité, & « rendons à nos Confuls cette au- « torité legitime qu'ils doivent a- « voir fur tout ce qui porte le nom « Romain. Si Sicinius en est mé- « Dec, 1.). 2, content, qu'il fe retire une fe- « conde fois avec ces rebelles qui « nourriffent fon infolence & qui « foutiennent fa tyrannie, Le che- «

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Tit. Liv.

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